Une sensation de douleur me saisit vivement, mais le désir de réussir me porte toujours. Je ne peux le contrer maintenant. Mes mains blanchies se fondent dans la paroi, l’étau de mes doigts se resserre autour d’un morceau de roche, mes pieds meurtris cherchent un repos bien mérité pour que mon corps s’étende vers le sommet. En bas, la corde glisse et se tord dans un cercle métallique relié à mon coéquipier. Une corde si mince qui retient ma vie pendant ces instants magiques. Monter, monter, élever le corps et l’âme avec. Oublier ces tracas enfantins qui pèsent trop, les laisser chuter de quinze mètres et écouter, un instant, le bruit qu’ils font en s’écrasant sur le sol. Le même bruit que je ferais si…
Plus d’angoisse. Seule la peur me tient le ventre et semble servir d’aimant entre la falaise et moi. Des muscles inconnus jusqu’alors se réveillent dans mes bras et me hissent, la peau de mes doigts s’arrache, mes pieds s’accrochent, s’accrochent. Une idée noire qui ressurgit, un faux mouvement et je fais l’ange…Ne pas penser, ne pas penser. Sentir, partout contre moi, cette roche râpeuse et fraîche dans le soir qui tombe. Ne pas regarder en bas, bien sur que non. Et ne pas penser qu’en bas, celui qui me tient, tient ma vie. Ne pas sentir peser son regard sur mon corps en sueur, c’est déjà un poids de trop. Mon bras se déplie, saisit vite la prise, les jambes suivent, le cœur se soulève d’espoir. La douleur est lancinante, mais elle ne doit pas peser, non, pas elle. La rage me prend au plus profond de moi, une dernière fois la corde se glisse dans l’anneau. Je suis en haut.
Les derniers rayons de soleil sur le cirque de pierre s’ajoutent à un sentiment de puissance et de satisfaction infini. La récompense est belle, la douleur s’envole et je tombe, comme un pantin. Juste cette corde si fine, qui coule, qui coule.
En bas, leurs regards, leurs sourire, l’eau sur mon visage rouge, le sol horizontal. Et sur une roche plate, imperceptible, la tache noire de mes chagrins écrasés. D’un geste vif, je passe ma main encore blanche. Ils ne sont plus.
Au suivant.
C'est les bras encore douloureux que j'ai écrit ça, en essayant de retrouver les mots qui me trottaient dans la tête tout là haut.
Pas une nouvelle, pas un poème, juste des sensations pures...
Tickle