Retour à la réalité
____Assise sur son lit, elle réfléchit. Ca n’est qu’une adolescente comme les autres, bien qu’au fond elle soit tout de même un peu différente. Dans ses yeux verts on peut parfois lire le bonheur ; mais un bonheur qu’elle oublie rapidement, un bonheur qui laisse vite place à la mélancolie. Tout ce qu’elle voudrait, en fin de compte, c’est savoir. Savoir pourquoi les souvenirs heureux la rendent triste. Savoir pourquoi le temps passe si vite lorsque l’on passe des bons moments, pourquoi il prend un malin plaisir à ralentir quand on souffre. Savoir pourquoi elle devrait se plier à des règles, obéir à d’autres, alors que tous les Hommes sont censés être libres et égaux… Juste savoir. Mais personne ne peut offrir de réponses à ses questions, n’est-ce pas ? Et ça, elle en est bien consciente. Comme si elle était trop exigeante, comme si ce qu’elle demandait était trop difficile. Mais peut-être que ça l’est après tout ? Savoir pourquoi elle se pose toutes ces questions aussi…
____C’est certainement l’âge. C’est maintenant qu’elle prend conscience de ce qu’a été son début de vie. Elle n’a été qu’un mouton. Un simple mouton, rien de plus. S’en rendre compte si tard, ça fait mal. Surtout quand autant de choses vous tombent dessus en même temps. Vous vous rendez compte qu’en fait, on n’a fait que se servir de vous, se moquer. Quoi que… elle a sûrement été consciente, par moments, qu’elle n’était qu’une remplaçante. Mais elle ne voulait pas se l’avouer. A son âge, c’était trop dur. Se sentir considérée, incluse dans une bande… être comme les autres quoi ! Ca fait chaud au cœur. On a l’impression de se sentir aimé, d’être entouré comme on l’a toujours voulu. Et puis… et puis il y a la chute. Une chute interminable, qui n’arrive que quatre ans plus tard, une chute vertigineuse. Elle se sent tomber, mais personne ne la rattrape. Elle ne voit pas de main se tendre. Il n’y a qu’elle et le vide, cet élément qui l’attire, lui, sous elle, qui l’attire, qui l’attire… Un ravin sans fond, un gouffre sans fin, dans lequel on se sent précipité. On aime l’effondrement au départ, mais ça se remplace vite par l’envie que cela se termine rapidement, afin de pouvoir remonter. Remonter vers la lumière, en s’aggripant à chaque paroi, chaque pierre, même si pour cela nos mains doivent en souffrir, être écorchées. A la fin les plaies seront soignées, revoyant elles aussi la lumière, la délivrance…
____Elle se dit qu’un jour, un jour béni pour elle, elle découvrira enfin des gens qui l’aimeront à sa juste valeur, qui ne lui en voudront pas d’être différente. Rien que pour ça, elle désire se battre. Mais ces gens ne sont pas là, seront-ils vraiment là un jour, et elle n’a pas le courage d’affronter seule sa remontée. Elle ne voit toujours pas le fond du précipice, c’est noir, obscur. Un sifflement retentit à ses oreilles, mais ça n’est pas un bel oiseau. Ce n’est que le bruit du vent qui lui bat le visage, qui va en sens inverse. Lui il sait aller vers le haut. Elle aimerait le suivre, trouver un endroit où s’accrocher à lui, et remonter avec. Puis elle ne le quitterait plus, comme remerciement de l’avoir sauvée, elle lui offrirait son amitié. Sa confiance, aussi. Cette confiance qu’elle n’arrive plus à confier aux personnes qui l’entourent. Même à elle-même, elle commence à avoir du mal. Son amour peut-être, un amour enfoui au fond d’elle, son amour enfermé dans son cœur, son amour que personne n’a encore réussi à dérober.
____Assise sur son lit, elle réfléchit…
____Est-ce une sonnerie qu’elle vient d’entendre ? Elle sort de ses pensées, se lève, et va dans la pièce d’à côté. En face d’elle, un écran. Juste un écran, rien qu’un écran. C’est un ordinateur, un cadeau récent. Dans une fenêtre de conversation, deux personnes lui disent bonjour. Elle a enfin un sourire, discret oui, mais sincère. Depuis deux mois, elle arrive de nouveau à sourire, un geste si anodin, mais qu’elle avait oublié. Et cela, grâce à deux simples « bonjour » quotidiens. On dit toujours « Loin des yeux, loin du cœur ». Mais elle n’a jamais cru à ce dicton. Pour preuve, les deux bonjours proviennent de deux personnes qui habitent loin d’elle, qu’elle n’a même jamais rencontrées en chair et en os. Mais elles deux, car elles sont des femmes, elles ont réussi à se voir accorder la confiance de cette jeune fille, son amitié. Une partie de son amour. Comment ont-elles fait ? Elle se le demande encore. Peut-être parce que, cachée derrière son écran, elle se sent mieux, elle sait sortir des émotions comme jamais auparavant, comme j’avais elle n’oserait le faire au dehors. Des véritables amies…
____Mais au jour d’aujourd’hui, elle se dit qu’elle voudrait leur confier plus de choses. Elle aimerait sortir ce qu’il y a au fond d’elle, ce qui est affreusement enraciné à ses tripes, ce qui s’accroche à son cœur. Mais elle ne sait pas, elle ne peut pas. Ses mains caressent le clavier sans pour autant écrire ce qu’elle désire au plus profond d’elle, ce jardin secret, qu’elle chérirait d’ouvrir un peu plus, encore un peu. Tous ces sentiments, ces émotions, ces souvenirs qui lui font du mal, qu’elle daignerait voir s’envoler, prendre d’autres horizons, la laisser seule. Seule, avec simplement des sentiments heureux. De la plénitude…
____Et peut-être qu’un jour, elle y arrivera…