J'ai enfin retrouvé mes cartons... C'est un peu long... mais je ne savais pas si je devais continuer ou m'arrêter... donc je vous le livre tel quel... j'espère que ça vous plaira tout de même...
La fille sur la balançoire…
Il faisait froid ce matin, un froid sec et quand le vent soufflait, ça glaçait le sang jusqu’aux os. L’hiver commençait bien tôt cette année, la neige ne tarderait pas dans son long manteau blanc, recouvrant tous les alentours et restant vierge jusqu’au printemps. Pour le moment, le gel était là tous les matins, c’était tout ! Les gens vaquaient toujours à leurs occupations, non par choix mais par nécessité… Et puis, il y avait, elle, cette petite fille, assise, là, sur une balançoire ; elle regardait passer les gens et elle leur imaginait une vie…
Celui-ci passait avec une baguette à la main, il revenait sûrement du travail, un célibataire sans doute. Tiens, lui, avec ses grandes cisailles, ce devait être un jardinier ou alors un tueur psychopathe, pourvu qu’il ne la regarde pas… Une dame bien coiffée et maquillée, en tailleur, sûrement une secrétaire ou bien une PDG d’une grande société… En fait ils pouvaient tous être plusieurs choses et rien de ce qu’elle imaginait n’était sans doute vrai. Elle aimerait leur demander une fois, juste une fois, pour voir si elle avait juste au moins pour une personne.
Mais les gens passaient et repassaient, sans jamais ni s’arrêter ni la regarder non plus. Elle, elle s’en foutait des gens, seule la vie lui importait : voir chaque jour le soleil se lever, pouvoir vivre et voir le monde. Elle pensait comme ça depuis toujours, peut être parce qu’à son âge elle avait déjà tant vécu et tant souffert…
Elle ne m’en voudrait pas si je vous racontais un peu son histoire…
Elle est née il y a seize ans de cela dans un hôpital de la ville, son père et sa mère l’attendaient depuis longtemps déjà : leur premier enfant ; un enfant voulu, désiré, souhaité et qui s’est tellement fait attendre. Tant et si bien qu’ils ont fait appel à un médecin spécialiste des techniques de fécondation in vitro. Et voilà qu’elle était née avec même un peu d’avance, comme pressée de se montrer au grand jour… 2,350 kg pour 45 cm, elle était petite et menue, mais tout ce qui comptait était son existence et la joie immense qu’elle procurait à ses parents. Ils l’aimaient tant !
Sa mère s’occupait plus d’elle jour après jour, elle avait quitté son travail et son père avait aménagé son temps de façon à être le plus possible auprès d’elles deux. L’Amour qui les unissait, remplissait toute leur maison et leurs cœurs.
Les années passèrent mais elle restait petite… Un truc hormonal, leur avaient dit les médecins. Et puis un matin, elle eut une forte fièvre, si forte qu’elle ne put se lever. Ses parents affolés l’emmenèrent le plus vite possible à l’hôpital le plus proche. Elle y vit les plus grands spécialistes et fut soignée. La douleur était présente chaque instant mais son jeune corps résistait. Elle voulait vivre et même quand on a dix ans, on se bat aussi fort que l’on peut. Ses parents la veillaient constamment se relayant, nuit après nuit, semaine après semaine, mois après mois, année après année… Leurs nerfs tenaient bons et leurs espoirs aussi ; pourtant rester devant son enfant alité et souffrant, doit être un calvaire à vivre…
Et puis l’année de ses seize ans enfin, elle reprit enfin des forces et son corps se gorgea de vie à nouveau. La joie immense qu’elle lut dans les yeux de ses parents, la remplissait comme si les années passées allongée dans les locaux tout blanc de cet hôpital, lui avait retiré l’amour au fond de son cœur.
Elle avait tout un tas de médicaments à prendre, tous les jours, mais elle était en vie alors peu lui importait de se lever à l’aube pour prendre un nombre incalculable de pilules roses, blanches et bleues… Et puis du coup, elle n’allait plus à l’école… De toutes façons, elle n’avait plus rien en commun avec ceux de son âge. Quand on a frôlé a mort, même enfant, on sait que la vie n’est pas vraiment ce qu’elle semble être.
Elle lisait beaucoup et de tout… Elle passait des heures entières à écumer les sites littéraires du net, afin de trouver quoi lire. Elle dévorait tout, sous le regard amusé et dépassé de ses parents, qui se demandaient comment une si petite tête pouvait être pleine de toute cette culture : une mini-Einstein au niveau littéraire. Et puis elle s’était mise à écrire aussi, au début ce n’était que pour passer le temps et pour sortir de sa tête ce qui lui restait de son expérience hospitalière. Il est des choses qu’on ne peut exprimer qu’en couchant les mots sur le papier. Et puis enfin, elle avait inventé des choses, un monde à elle, peuplé des personnages de ses livres préférés et de créatures étranges et fantastiques. Du matin au soir, elle était perdue dans ses pensées à réfléchir à ce qu’elle pourrait inventer pour son monde, ce qui pourrait s’y passer… Son imagination avait toujours fonctionné quand elle ne pouvait rien faire d’autre que se reposer pour survivre ; alors plus jamais elle ne manquerait d’idées…
Ses parents la regardaient noircir des pages et des pages de cahier avec son écriture d’enfant, ou à taper à la vitesse de l’éclair sur les touches de son clavier, telle la plus aguerrie des secrétaires. Pourtant quelque chose les perturbait : elle ne les laissait jamais lire la moindre ligne, elle cachait tout : fichiers protégés par mot de passe, cahiers cachés en divers endroits de sa chambre ; et même en y faisant le ménage sa mère n’y avait jamais rien trouvé.
Et aujourd’hui elle était là ! Seule dans le froid, sur sa balançoire, regardant la vie passer… La veille elle avait eu une grande discussion avec ses parents, elle devait retourner à l’école dès le lendemain et elle n’en avait aucune envie. Elle ne voulait plus côtoyer le monde extérieur, elle n’en voyait plus l’intérêt : tout ce qu’elle avait jamais voulu savoir, elle l’avait lu ou le lirait bientôt. Tout était dans ses livres ; alors quand ses parents lui avaient annoncé la nouvelle, au dernier moment histoire d’échapper à une crise. Histoire aussi d’échapper à un des plans qu’elle aurait sans doute échafauder pour éviter ce douloureux retour à la vie normale. Mais, du coup, elle n’avait rien trouvé de mieux que de fuir. Elle avait claqué la porte derrière elle en sortant du salon et était restée longtemps devant son nouveau cahier avant qu’elle ne le jette en travers de la pièce. Et puis elle avait ouvert la fenêtre et était passée dehors : facile quand on est au rez-de-chaussée. Elle avait couru jusqu’au bout de la rue, s’était retournée et avait continué en marchant. Elle s’était baladée le long des rues, droite, gauche, encore et elle était revenue devant chez elle, bizarrement. Alors, elle s’était assise sur la balançoire pour regarder le monde dans lequel elle vivait, comme un adieu…
Après tout, peut-être ce ne serait pas si terrible ; elle pourrait converser avec d’autres personnes en vrai et de son âge. Et puis si cela ne marchait pas, elle pourrait toujours demander à changer d’école, avec les yeux humides ça marcherait sûrement. De toutes façons, avec ses parents, elle aurait le dernier mot, elle avait toujours su comment les amadouer. Depuis qu’elle avait été malade, elle avait pris le contrôle ; cela l’amusait mais elle n’en abusait jamais, elle ne voulait pas les contrarier : elle les aimait.
Comme elle se dirigeait lentement vers la porte de sa maison, elle sentit près d’elle une présence : quelqu’un l’observait, elle le sentait. Elle se retourna tout doucement, petit à petit, pour ne pas faire fuir celui ou celle qui la fixait. Et puis, enfin, elle lui fit face et il la regardait encore. C’était un jeune homme, pas beaucoup plus vieux qu’elle. Il avait de grands yeux noirs, brillants, plongés dans les siens et elle ne pouvait s’en détacher. Puis il dut relâcher sa concentration un instant quand elle lui sourit nullement effrayée de sa présence ; elle put alors détourner les yeux et relever la tête avec fierté mais elle ne le vit plus nulle part. En rentrant enfin, elle se demanda si elle n’avait pas rêvé…
Elle y repensa toute la nuit, envoûtée par ce regard fascinant. Lui devait être la seule personne qu’elle avait trouvé digne d’intérêt depuis longtemps : elle voulait le revoir, elle essaierai de le faire dès le lendemain et elle état impatiente, elle eut du mal à trouver le sommeil cette nuit là. Sa journée passa rapidement, elle retrouva un semblant de vie sociale en retrouvant la scolarité mais ne fit pas l’effort d’aller vers les gens, préférant souvent se mettre à l’écart sous un arbre ou sur un banc. Elle avait attendu toute la journée de pouvoir enfin se rasseoir dans son jardin.
Mais elle ne le revit pas tout de suite. Celui qui l’espionnait lui avait fait faux bond ! Il lui fallut encore attendre trois longues journées ; même si elle avait presque oublié pourquoi elle se balançait doucement chaque nuit… Ce soir, elle était sortie après le repas, elle n’avait pratiquement rien avalé mais ça n’était pas inhabituel… Elle était perdue dans ses pensées et ses pas trouvèrent d’eux-mêmes son endroit préféré, son refuge, le lieu où elle aimait se poser pour réfléchir. Elle mit plusieurs minutes avant de reconnaître la sensation qui s’emparait d’elle. Scrutant la pénombre, elle trouva bientôt le même homme. Malgré l’insistance et la détermination de son regard sur elle, elle ne se sentait ni oppressée ni dévisagée, il ne la dérangeait pas. Elle aurait aimé faire un pas vers lui ou mieux que lui le fasse, qu’il s’avance enfin et lui parle. Il devait bien y avoir une raison pour qu’il l’observe avec tant d’obstination.
Elle le revit soir après soir, il l’attendait quelque soit le temps, pluie, vent, brouillard, neige ; elle le recherchait des yeux toujours. Aucun des deux ne semblait vouloir céder le premier dans ce combat sans mots, où les regards sont des armes qui servent autant à émouvoir qu’à déstabiliser. Qu’attendaient-ils ? Lui ne bougeait jamais, comme une statue dont le regard pénétrant l’envoûtait chaque fois. Elle n’écrivait plus que lui ; elle lui avait inventé une vie, une histoire, un nom même et des sentiments qu’il éprouverait un jour pour elle, elle l’espérait… Elle aurait même imploré Dieu si elle y avait cru, pour n’avoir qu’une seule minute de ce bonheur qu’elle inventait chaque fois avec plus de fougue et nombre détails. Et enfin les mots devinrent des « je t’aime », elle ne savait plus comment, mais elle l’aimait désormais. Elle devait lui parler quoiqu’il arrive, pas de regrets, jamais… Alors ce soir là, elle sortit pleine d’espoir mais son cœur se brisa quand il ne vint pas.
L’été commençait et elle n’en pouvait plus de rester à attendre patiemment de le voir apparaître telle une ombre de l’autre côté de la rue. Elle avait pourtant plusieurs fois senti comme un regard posé sur elle, mais elle ne voyait nul signe de vie de cet inconnu qui l’avait troublée et délaissée. Elle n’avait plus rien écrit depuis cette nuit là, elle avait même jeté les textes écrits longtemps avant cette rencontre, et formaté son disque dur. A quoi bon garder tout ça, si sa vie ressemblait à une immense solitude traduite par un grand trou vide au beau milieu de son cœur… Elle l’avait compris, elle ne pourrait jamais plu rien inventer si elle ne le retrouvait pas, mais elle ne savait où commencer à le chercher… Elle voulait être dehors tout le temps, elle se cachait derrière sa solitude comme enfermée derrière un mur que seule la douleur transperçait par la peine qu’on lisait dans ses yeux. Elle ne parlait plus à ses parents ; depuis le soir de sa fuite, elle les croisait à peine…
Alors elle sortit chaque jour, le matin elle allait courir, l’après-midi elle se baladait dans les parcs ou les chemins environnant, elle allait se dorer au soleil avec un bon livre. Et malgré ses errances au gré du temps, au fil des rues, elle restait toujours seule. Spectatrice invisible pour une terre qui continuait à tourner malgré elle, sa solitude lui pesait et son espoir de le retrouver s’amenuisait chaque jour un peu plus. Elle ne comprenait pas comment il avait pu passer tant de temps à l’observer, sans s’en cacher d’ailleurs, pour la délaisser ensuite comme d’un jouet dont un enfant se serait lassé…
Même le soir, elle sortait fréquentant des endroits branchés, surpeuplés, dans lesquels son manque affectif la faisait encore plus souffrir, fondue qu’elle était dans la multitude. Elle s’asseyait dans un coin à l’écart et scrutait les gens, reprenant parfois l’imagination de leurs vies ; comme ça parce qu’elle ne savait pas faire autre chose… Et puis n’y tenant plus, elle rentrait, la tête remplie de ces bruits et odeurs de foule informe et anonyme. Elle crachait alors les mots sur le papier, elle réécrivait mais seulement des textes noirs où se mêlent tristesse, souffrance et la Mort… Depuis combien de temps évitait-elle de penser à cette vieille connaissance dont elle niait si farouchement la présence ? Pourtant elle la hantait depuis tellement longtemps, elle avait gardé une place dans son esprit, bien cachée derrière le reste mais toujours présente. Ne pas penser à ça, surtout pas… Elle avait vu le bout de son tunnel et la lumière aveuglante, celle de la fin et elle avait fait demi-tour…
Perdue dans la morbidité de ses pensées, elle se rapprochait des flots noirs du fleuve local. Ils reflétaient la lune, elle devait passer le pont les surplombant et elle serait dans sa rue, bien à l’abri dans sa maison… C’est là que le destin décidé d’agir encore une fois, toujours quand on s’y attend le moins. Sur le pont, debout sur le parapet, il y avait un homme et nul doute possible sur son identité… Il regardait fixement le fond du fleuve comme à la recherche d’un objet précieux ou d’une réponse à ses questions, et il se penchait encore, toujours un peu plus. Elle poussa alors un hurlement qui déchira la nuit et elle se mit à courir, c’était sans doute la première fois que son corps et son esprit étaient unis dans le même élan, pour le même but. Il l’avait vu ! Il restait interdit, semblait désemparé : il n’avait pas prévu d’être arrêté dans son geste, certainement. Elle arriva auprès de lui au moment où il descendait du pont : les yeux ronds comme deux billes, fixant une fille en sueur, à bout de souffle et qui pleurait.
Il voulut alors approcher la main de sa joue, elle détourna la tête, essuya ses yeux d’un revers de la main et planta son regard douloureux dans le sien. Puis elle ouvrit enfin la bouche, prête à déverser ce flot de paroles trop longtemps retenu, des mots qu’elle avaient tournés et retournés depuis tellement longtemps dans son cerveau. Mais maintenant tout se mélangeait, au moment de parler enfin : sa colère, contre ce geste stupide qu’il avait failli faire et son amour, endormi dans son cœur qui se réveillait flamboyant comme un phoenix renaissant de ses cendres… Tous les mots se pressaient en elle, alors elle demanda, la voix pleine de sanglots :
« Mais pourquoi ? Expliquez moi pourquoi ? Pourquoi mettre un terme à votre vie ? Pourquoi n’être pas revenu ? Pourquoi ne pas me parler ? Pourquoi moi ? Pourquoi… ? »