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 I had a dream...

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Antigone
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Antigone


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MessageSujet: I had a dream...   I had a dream... EmptyVen 8 Sep à 0:53

J’hésite à l’allumer, ce soir. Qu’est-ce qui a créé cet automatisme, chez moi ? Pourquoi est-ce que je m’entête à faire ça ? La curiosité, sans doute, la même que chaque soir depuis que cette machine infernale est entrée dans ma vie. L’allumer, ou pas ?

Je secoue la tête, indécis, et quitte la chambre en refermant la porte derrière moi. De toute façon je n’ai pas encore sommeil. Au moins je suis encore capable de ça : ne dormir que quand j’ai sommeil. C’est toujours ça de pris. Je m’installe devant la télé, zappe en espérant trouver un vrai film, un film avec un brave producteur humain, un réalisateur tangible avec une tête, deux bras et deux jambes, et des acteurs, des acteurs professionnels,… ou non. Des acteurs qui joueraient mal, plutôt. Ca me ferait du bien. Tous ces gens qui auraient reçu un scénario, l’auraient étudié, analysé ses chances de succès en terme d’entrées, et décidé de se lancer dans une aventure de plusieurs semaines de tournage, d’assemblage de rushes, de corrections. Une vraie œuvre collective, pas un truc conçu en une nuit par je ne sais quel tordu.

C’est étrange comme la vie semble parfois insister sur une question que l’on aimerait ne plus se poser. Je cherche à me changer les idées en ne pensant plus à cette foutue installation (vais-je l’allumer ou pas ?), et voilà que ces deux acteurs du siècle passé me replongent innocemment dans mon dilemme. « J’ai fait cette nuit un rêve merveilleux » s’extasie le grand brun, et l’exemplaire de bimbo hollywoodienne qu’il tient serrée étroitement contre lui réplique, la bouche en cœur : « Oooh, raconte-moi, chéri ! ».

« Oooh, raconte-moi, chéri ! »… J’éclate d’un rire sans joie, et j’éteins. Ces vieux films… « Horace, sortez la calèche ! » n’aurait pas été plus déplacé. Commentaires du siècle dernier, témoignages d’une autre époque.

« Oooh, raconte-moi, chéri ! ». Je me souviens…

Quitte à faire dans le cliché ancestral, allons-y à fond. Je me verse un whisky, que je fais tourner paresseusement dans mon verre. Plus personne ne me dira « Oooh, raconte-moi, chéri ! », à moi. Et pas seulement parce qu’elle m’a quitté, il y a quelques années. Pas seulement pour ça. Quelle idiotie, cette rupture, quand j’y repense. Trahi par mon inconscient. J’ignore si ces conneries de pulsions masculines ont un fond de vérité. Peut-être que si j’avais traîné Liliane chez des psychologues ils auraient pu lui expliquer que tout ça ne voulait rien dire, que ce n’était qu’un message à décrypter et non pas l’aveu d’une furieuse envie de la tromper (la tromper ! Alors que je l’aimais ! ) ou la révélation d’une incroyable perversion sexuelle. Liliane… Non, elle n’a pas compris. Mais bon, à sa place, qu’aurais-je fait? C’est plutôt difficile à digérer, au niveau de l’amour-propre. Et au niveau de l’amour tout court aussi, je suppose.

Il me manque le cigare et la robe de chambre en soie pour que le tableau soit complet. Les lumières sont déjà tamisées. Un vieux célibataire dégustant son whisky, seul dans son immense maison, en pleine nuit, perdu dans ses pensées. Bientôt un corbeau va apparaître pour me déclarer « Nevermore » et d’autres absurdités. Jamais plus… Bah, pas besoin de corbeau. Je le sais déjà. Jamais plus. Je soupire. Jamais personne n’a remplacé Liliane. Je l’aimais. Je l’aime sans doute encore, et ce gâchis insupportable me laisse un goût amer. Je me demande si je peux pour autant me considérer comme une victime de la technologie moderne. Après tout, j’en ai bien profité aussi… Grandeur et décadence, en quelque sorte.

Je suis tellement fatigué… Nerveusement, je veux dire. Je ne rêve pas d’aller m’étendre seul dans ce lit trop grand.

Rêve… le mot est lâché. J’avale pensivement quelques gorgées de whisky.

Il fut un temps, c’est vrai, où les rêves restaient dans la sphère mystérieuse de l’inconscient. Oh, je ne suis pas psychologue, je me trompe peut-être. Mais cela ressemblait à cette frontière mystique où la réalité flirtait avec une certaine forme de magie. Certains hommes prétendaient ne jamais rêver. D’autres s’exclamaient, au réveil, presque surpris « J’ai fait un rêve merveilleux », et leur femme rétorquait « Oooh, raconte-moi, chéri ! ». Et ils racontaient, tant bien que mal. Tout ça restait brouillé, confus, la plupart du temps. Des restes brumeux d’un autre monde…

Depuis le freudisme (encore une fois je n’y connais rien – mais c’est ce que j’ai cru comprendre), le rêve a acquis un statut particulier. Il a été codifié, interprété selon des règles précises. Si je me souviens bien, il y avait des tas de « dictionnaires des rêves », vers la fin du vingtième siècle. Si vous aviez rêvé que vous perdiez vos dents : changement dans votre vie. Une chute : impression de ne plus dominer les évènements. J’invente, mais dans le principe c’était ça. Mais je m’éloigne du sujet… Ca, ce n’était que les dérives du mouvement. Les psychologues ont insisté sur l’aspect personnel et privé de l’interprétation d’un rêve : on ne pouvait réellement définir de normes générales, parce que chaque symbole est différent d’une personne à l’autre. Je ne me suis jamais réellement penché sur la question, mais je suppose que c’est plausible. Un type qui exècre les chats et rêve que sa maison en est remplie n’aura pas l’impression d’avoir reçu le même message qu’une hystérique des matous dans la même situation. Les rêves, un message provenant tout droit de votre inconscient, destiné à vous avertir, à vous aider à faire des choix, à refléter votre état d’esprit du moment.

Vu comme ça, c’était déjà nettement moins drôle. « J’ai rêvé que je passais une nuit torride avec Marylin Monroe », c’était agréable à raconter aux copains seulement si personne ne cherchait à décrypter minutieusement ce qu’il en découlait, votre relation au sexe en général, ce que Marylin symbolisait à vos yeux et les leçons qu’il fallait tirer de tout ça. Mais le psychologue, c’était le grand médecin de l’ère nouvelle, le grand manitou de l’homme blanc. Bah, je dis l’homme blanc… C’est ridicule. Tout le monde y est passé, à moins de vivre au fin fond de la cambrousse sans avoir jamais entendu parler de télévision par satellite, du cours du pétrole et des dernières avancées du nucléaire. C’était tendance, d’avoir un psy… Le corps humain a petit à petit été perçu comme un ensemble de pièces détachées. Avant, on avait un généraliste, et tout le monde était content. A présent, on a un ORL, un dentiste, un cardiologue, un rhumatologue, un neurologue, un dermato, un kiné, un ophtalmo… et un psy. On se fait réparer comme si on avait été livré en kit. L’être humain à l’ère Ikea.

Il manque de rembourrage ce fauteuil ; à moins que ce ne soit moi qui ait maigri. C’est possible. On ne peut pas dire que j’ai un grand appétit, depuis que Liliane est partie. Evidemment, entre le rôti de bœuf en croûte d’herbes et les raviolis micro-ondes, il y a une marge. Non pas que je ne sois pas capable de faire la cuisine, je n’en ai pas l’envie, c’est tout. Je ne vois pas pourquoi je me fatiguerais à mitonner un pigeon farci aux pleurotes pour une personne. Pour m’auto féliciter chaleureusement, peut-être ? Conneries.

Je pourrais aussi bien dormir ici. Pourquoi avoir conservé ce rituel ridicule au fond ? Je suis quelqu’un de pragmatique. De simple. Je suis fatigué : je dors. Et peu importe le lieu. Ce n’est pas comme si quelqu’un m’attendait, pas vrai ? Mon oreiller ne me fera pas la gueule demain parce que j’ai découché au profit du sofa. Je me lève, pose mon verre vide sur la table basse du salon, et m’étend sur le divan sans même ôter mes chaussures. Liliane aurait hurlé. Elle adorait ce divan qu’elle avait déniché aux puces, aussi incroyable que ça puisse paraître. Au départ ce n’était qu’une ruine miteuse, et j’ai fait la grimace. Puis elle s’est enfermée quelques jours dans le garage, avec lui. Je ne sais pas au juste comment elle s’est débrouillée, et je ne lui ai jamais demandé. Toujours est-il que quand elle l’a finalement installé dans le salon, il avait plus l’air de sortir de chez un antiquaire que d’un marché aux puces pluvieux. Elle était comme ça, Liliane. Elle parvenait à voir la beauté derrière tout, derrière le moindre truc pouilleux et à moitié moisi. Il suffisait qu’elle se mette en tête de le restaurer, et c’était parti.

J’étais persuadé qu’elle l’emporterait en partant, mais non. Elle n’a rien emporté. Elle a dit qu’elle ne voulait plus jamais poser les yeux sur quelque chose qui pourrait me rappeler à son souvenir, de près ou de loin.

Je suis un vieux con aigri.

Elle me manque.

Bizarre quand même que je continue à brancher cette machine, après ce qu’elle m’a fait. Ce n’est pas comme si j’avais besoin d’argent, oh que non. J’en ai assez pour des générations. Pourquoi, alors ? Ca doit être une nouvelle addiction. Comme ces types qui ne parviennent pas à arrêter de fumer, malgré le fait qu’ils n’y trouvent plus aucun plaisir. Ou un vieux fond de reconnaissance pour ce qu’elle m’a apporté. Malgré tout ce qu’elle m’a pris.

Cette nuit je dormirai ici, et ce n’est pas plus mal. C’est loin d’être confortable. Tant pis.

Est-ce qu’ils se doutaient seulement des répercussions qu’elle aurait, cette foutue machine, quand ils l’ont mise au point ? Je suppose que non. A l’origine, on l’a annoncé comme une révolution dans le monde de la psychanalyse. Ou de la psychologie ? Je ne sais plus. J’ai toujours confondu les deux. La branche qui s’intéresse aux rêves.

Songez donc : avant, c’était parfaitement aléatoire. On demandait aux patients de tenir une sorte de « carnet de rêves » : or ; le bonhomme, il ne se souvenait pas forcément de ses rêves, ou bien il n’avait pas le temps de s’amuser à noter en détails : « Cette nuit je courais dans un grand couloir sombre et j’avais l’impression d’être poursuivi par un ours à deux têtes ». Mais à présent ! Plus besoin de s’emmerder ! On branchait la sacro-sainte invention (qui faisait un bruit infernal, à ses débuts, paraît-il, je me demande comment les types sur qui ils l’ont testée parvenaient à fermer l’œil) et miracle ! Le lendemain matin, le rêve était sur cassette ! Oui madame, oui monsieur, le rêve en vidéo, parfaitement. Avec possibilité d’arrêt sur image, avance rapide ou zoom. Gravé sur DVD. Possibilité d’obtenir une copie pour la famille ou les amis.

Parce qu’évidemment cette petite merveille était réservée au corps médical… Et encore, seulement à ceux qui pouvaient se le permettre. Ce n’était pas donné. C’est ça aussi, la pointe de la technologie… On l’a d’abord utilisé dans le cadre de projets de grande envergure, financés par des types qui ne discutaient pas sur le budget. Etude de l’inconscient des grands criminels… Les rêves de serial killers, par exemple, le tout compilé sous des noms savants que je serais incapable de restituer si on me le demandait. Application aux cas les plus complexes de schizophrénie, d’autisme, j’en passe et des meilleures. Tout ça était très propre, très cadré, très bien comme il faut.

Puis l’un ou l’autre milliardaire (il faut toujours que j’exagère… Millionnaire aurait suffit amplement, tout de même) en pleine psychanalyse a décidé d’en acquérir un à titre personnel. C’était plus simple pour lui. De fil en aiguille, c’est devenu le gadget le plus branché du moment. Grâce aux financements privés, ils avaient pu l’améliorer suffisamment pour qu’il soit silencieux, et de taille plus que réduite. Quelqu’un a eu l’idée de placer toute cette petite installation dans un dreamcatcher. Vous savez, cette espèce de mobile indien, composé d’un genre de toile d’araignée en ficelle avec une perle de bois en son centre, le tout décoré de plumes et autres. Un attrape-rêves. Censé capturer les cauchemars. Une déco classique pour rassurer les gamins qui ont le sommeil difficile, basée sur de jolies légendes de je ne sais quelle tribu. Soit. Un dreamcatcher. Je garde le terme anglais puisque c’est celui qui a été retenu, l’invention était américaine, après tout. Ca a fait fureur. Le type qui a eu cette idée doit être capable aujourd’hui de racheter Disneyland, MacDo et Microsoft rien qu’avec son argent de poche du mois.

Les chambres à coucher se dotèrent donc progressivement de cette innovation amusante. Aujourd’hui, le prix s’est à ce point démocratisé que chacun possède son dreamcatcher. Ne pas en avoir, ce serait comme ne pas avoir le téléphone ou la télévision. C’est envisageable, mais pour le moins hors du commun.

Un véritable phénomène de mode, oui. Au bureau, devant la machine à café « Eh, j’ai fait un rêve super, si tu veux je te refile le DVD ! ». « Dis donc, t’as regardé le dernier rêve de tante Maddy ? Faudra que tu jettes un œil… »

Je n’exagère sans doute pas en disant que cela a changé bien des habitudes de vie. Liliane et moi avions l’habitude de regarder nos rêves le matin, en prenant notre petit déjeuner. C’était tellement décousu, parfois, que ça la faisait rire aux larmes. Comme je me sentais proche d’elle, dans ces moments-là… Comment ne pas se sentir aussi proche de quelqu’un qui a accès à vos rêves ? Je restais souvent interloqué, elle affirmait que ça me donnait l’air d’un parfait idiot. « Mais enfin je n’ai pas pu rêver CA ! ».

C’était étrangement réconfortant, aussi, de pouvoir regarder ses cauchemars à la lumière du jour, blottis confortablement sur ce vieux divan, le corps de Liliane appuyé contre le mien. Toutes les menaces disparaissaient. Il est parfois de ces rêves horribles qui vous laissent un sentiment de malaise atroce toute la journée, pendant plusieurs jours, même ; mais là, la bombe était désamorcée tout de suite.

Je vais m’endormir, je crois… Sombrer dans le sommeil n’est pas aussi excitant, sans le dreamcatcher, mais beaucoup plus sûr. Qui sait ce que je risquerais encore de découvrir, dans mes rêves ?

Quoi qu’il se passe, cette nuit, il n’en restera aucune trace.

Oh, je veux dormir d’un sommeil sans rêves… Croire encore que cela existe !
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Antigone
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MessageSujet: Re: I had a dream...   I had a dream... EmptyVen 8 Sep à 0:53

J’ai la bouche pâteuse. Il m’a fallu quelques secondes pour me souvenir de l’endroit où je me trouvais. Ne plus se repérer dans sa propre maison, je ne sais pas si c’est bon signe… Quand je me suis redressé, mon dos courbaturé m’a rappelé que toutes ces conneries n’étaient plus de mon âge. Ce soir, je dormirai dans mon lit.

Je me dirige à pas lourds vers la machine à café. Une nouvelle longue journée de vide devant moi… Je ne sais pas si c’est une bonne chose, finalement, d’avoir autant d’argent. On me jetterait sans doute des pierres dans la rue si j’osais déclarer ça, alors que des tas de personnes triment pour avoir le minimum vital, mais je le pense… Je pourrais travailler, oui, bonne idée. Ôter le pain de la bouche d’un type qui en aurait sans aucun doute beaucoup plus besoin que moi. Me mettre à peindre, à sculpter, ou n’importe quel autre activité de riche oisif ? Je n’ai aucun talent. Je pourrais traîner de cocktails en cocktails, ramener chaque soir une (ou deux ?) inconnue(s) séduite(s) par mon gros compte en banque, lui faire ce que même les chaînes porno les plus dépravées du câble n’oseraient diffuser, et m’endormir ensuite… Certain que ce serait la même chose le lendemain. Mais non. Ce n’est pas dans mon caractère.

Alors je tourne en rond. La télévision ne m’amuse pas. C’est toujours la même chose. Cette émission de divertissement où une jeune femme choisit avec qui elle va partir une semaine en vacances, sur base de diffusion des rêves de trois candidats (pas de chance pour le pauvre type qui faisait un cauchemar atroce la nuit de l’enregistrement du rêve en studio) ; le dernier gagnant de tel ou tel festival de rêves ; les témoignages baignés de larmes d’une victime du rêve… J’ai l’impression qu’on ne parle plus que de ça. Ca leur passera, je suppose.

C’est étrange, cette inactivité pendant que je déjeune. J’avais gardé l’habitude prise avec Liliane de regarder mon rêve, en buvant mon café. Mes yeux se portent machinalement sur la bibliothèque où s’alignent sagement des centaines de DVDs. Des rêves. Les miens, quelques uns de Liliane. Tous soigneusement rangés et étiquetés. Je m’approche, ma main parcourt rêveusement les rayonnages, s’arrête au niveau de la lettre F, hésite. F, comme Fin. La fin de tout ce que j’avais construit avec ma Lili… La cause de son départ. Pourquoi est-ce que je le prends ? Pourquoi est-ce que je le dégage de sa boîte ? Cela ne servira à rien…

C’est peut-être contre mon gré que je l’introduis dans le lecteur, peut-être pas. Ce matin-là, Lili était encore plus belle que d’habitude. J’avais passé une excellente nuit, j’étais pressé de découvrir nos rêves. J’avais attendu patiemment qu’elle prenne son plateau, sur lequel trônaient de monstrueuses tartines de confiture à la fraise et une tasse de thé (avec un nuage de lait et un sucre), en la regardant à la dérobée, comme pour m’imprégner de chacun de ses gestes. Comme si je savais déjà.

Le lecteur avale le disque avidement, le logo de la société productrice des Dreamcatchers s’affiche, puis la date en lettres blanches sur fond noir. Puis le rêve, enfin. Je n’ai pas besoin de fermer les yeux pour me souvenir du regard de Liliane, de la tasse qu’elle a reposée lentement, si lentement, tandis que ses mains se mettaient à trembler. Abasourdi, je la guettais du coin de l’œil. Je n’avais pas pu rêver ça… Ses lèvres étaient pincées, son teint blême. J’aurais dû éteindre la télévision, mais j’étais paralysé.

Lili, ma Lili… Sur l’écran, la jeune femme se cambre dans un soupir. Ce n’est même pas mon genre, bon dieu… même pas mon genre ! Liliane avait posé son plateau sur la table basse, s’était levée, raide comme la justice, et avait commencé à faire ses valises, sans répondre à mes supplications. Avaient-ils songé à ça ? Je ne suis pas le seul dans ce cas… L’audimat explose dès qu’une femme éplorée vient témoigner sur les rêves obscènes de son mari, en direct, tandis qu’un animateur gominé lui tapote gentiment la main en lui tendant un mouchoir. Il y a des tas de variantes, mais le principe reste le même.

J’éteins le lecteur. Je regarde à nouveau autour de moi, cette grande maison achetée grâce à un rêve, vidée grâce à un autre. Ironique… C’est l’origine de ma fortune, c’est vrai. J’ai remporté un festival de rêves, oui madame, oui monsieur, le premier prix, gros lot, jackpot. C’était un rêve merveilleux, c’est vrai… Très romantique, complètement fantasmagorique. Un peu niais, peut-être, mais bon… Je ne l’ai pas regardé très souvent, à vrai dire, et mon souvenir n’est plus très précis, mais c’était le genre de rêve où l’on vole, où tout paraît possible. Il me semble que les tons étaient pastels. Il y avait peut-être même comme une musique en fond sonore…

Je l’avais inscrit au concours comme une plaisanterie. J’ai remporté le premier prix. J’ai signé des contrats autorisant sa diffusion sur grand écran, puis sur petit. On ne peut jamais dire, je pense, pourquoi quelque chose a du succès. Toujours est-il que ce rêve m’a rendu riche. Pas scandaleusement (je ne rachèterai pas Disneyland) mais suffisamment pour que j‘arrête de travailler en ne craignant absolument pas de manquer de quoi que ce soit dans mes vieux jours. Loin de là. Les droits de diffusion que je perçois tous les mois suffiraient à faire vivre dans l’aisance une famille de cinq personnes, et je suis tout seul, dépourvu de goût de luxe. Un vieux con aigri qui ne sait pas comment dépenser sa fortune. Liliane n’en a pas voulu non plus. Liliane n’a plus rien voulu de moi, excepté ma signature en bas du formulaire de divorce.

Mon café est froid. J’allume la radio, pour briser le silence. Une autre star cambriolée. On vole les rêves des stars, maintenant : ça se revend très cher, un rêve de star, surtout s’il casse son image bien lisse et proprette. Démission du ministre de l’intérieur : on a dévoilé la vidéo d’un rêve où il est président de l’humanité, fumant un cigare tandis qu’une jeune femme dans le plus simple appareil s’occupe de lui façon Lewinski. On prévoit la nouvelle production de Stevlin pour la fin du mois. Les rêves de Stevlin ont eu tellement de succès qu’on l’a plongé dans un coma artificiel, afin de le rentabiliser autant que possible. Son équipe technique fait le tri entre ce qui est susceptible de rapporter de l’argent et ce qui ne vaut rien. Il a signé pour cinq ans. Bonjour le mal de crâne au réveil. Nos députés débattent en ce moment de l’autorisation ou pas de la pilule Evrard. Aucune avancée significative.

La pilule Evrard, vous parlez d’une révolution… Alarmé par le désastre significatif que le dreamcatcher pouvait provoquer (je pense notamment à ce père de famille qui avait rêvé qu’il étranglait son plus jeune fils, après s’être violemment disputé avec lui dans la journée au sujet d’une partie de pêche – sa femme a obtenu le divorce, une pension mirobolante et la garde exclusive des enfants, cela va sans dire), poussé sans doute par certains politiciens qui en ont assez de voir leurs rêves utilisés comme argument électoral, ce brave scientifique a inventé le remède miracle, la pilule qui porte son nom… Elle a même déjà un slogan, cette petite merveille. « La pilule Evrard : ni rêves, ni cauchemars ! »

Les gens aujourd’hui rêvent de ne plus rêver.

Oh, Lili… Je n’ai aimé que toi. Pourquoi a-t-il fallu que tu croies mes rêves, plutôt que mes promesses ?
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Lain
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MessageSujet: Re: I had a dream...   I had a dream... EmptyVen 8 Sep à 12:20

C'est absolument génial I had a dream... Amour55_ Une nouvelle d'anticipation comme je les aime ! Implacable, impitoyable et si tendre... J'adore.

Il y a du Philip K Dick dans l'idée, envoie ton texte à Spielberg, il devrait aimer Razz Et comme d'habitude c'est super bien écrit.

Mince alors, encore un texte que j'aurais été drôlement fier d'avoir écrit... Mr. Green
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MessageSujet: Re: I had a dream...   I had a dream... EmptyVen 8 Sep à 14:32

Le ton est différent mais le talent est là à n'en pas douter... Il est rare de voir des gens si bien écrire sur tellement de sujets différents...

Une très belle nouvelle emprunte de tout ce qui fait le mal de la société de consommation actuelle dans laquelle nous vivons... Moi qui rêvais d'une machine qui me rappelerait enfin mes rêves que j'oublie systématiquement, je vais plutôt retourner à mon clavier m'en inventer tels que je les voudrais : ça me fera moins de mal je pense ^^

Vraiment très joli... ça faisait longtemps que j'étais venue et vraiment je ne suis pas déçue I had a dream... Amour55_

Mon petit Lain, je suis bien d'accord avec toi... Moi aussi j'aurais aimé l'écrire cette nouvelle...
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MessageSujet: Re: I had a dream...   I had a dream... EmptyJeu 8 Fév à 1:14

Je suis sur le c*l, c'est vraiment trop génial. L'idée, le style d'ecriture: TouT C'est franchement excellent! Comme a ton habitude antigone^^

Bref: J'adore!

(C'est pas moi qu'écrirais des trucs pareils ^^')
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