Nouvelle Génération d´Auteurs
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 Armaghast

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Lain
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Lain


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MessageSujet: Armaghast   Armaghast EmptyVen 15 Sep à 12:29

Bon, les enfants, c'est mort là, faut se réveiller un peu...
Etant donné que je n'ai rien écrit de neuf depuis "double", et que malgré tout je me dis qu'il faut de la nouveauté pour vous sortir du zombinisme (ouhlà, attention mon petit Lain, ne mélange pas les chiffons et les serviettes), je vous propose une petite parenthèse détendante.

Je précise ma pensée: ceci est un roleplay, écrit dans le cadre d'un concours; logiquement ça n'aurait pas dû sortir du cadre de celui-ci, mais comme je me suis bien fendu la poire en l'écrivant, je crois que cela pourrait également vous permettre de sourire un peu entre deux flashs spéciaux de fox news.

Le thème du concours portait sur la colonisation d'une planète dans un environnement SF; les principaux personnages que vous allez rencontrer existaient déjà avant ce roleplay, mais je pense que ça ne vous empêchera pas de comprendre l'essentiel. A supposer qu'il y ait effectivement quelque chose à comprendre Mr. Green

Voilà, j'espère que cela vous amusera, et surtout vous donnera envie de revenir abreuver la nga de vos textes, de vos sautes d'humeur et de votre lumineuse présence Very Happy

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Dure vie que celle de général. Responsabilités immenses, sous-fifres lâches et incompétents ou au contraire trop ambitieux, nuits de sommeil régulièrement "oubliées" au profit de l'intérêt suprême...
Mais tout cela n'était rien, comparé à la vie d'un général aux ordres d'Alice. Alice, oui, et non plus Impératrice Alice, déchue de son titre lors de son admission parmi la caste des Auxiliens, mais toujours aussi... *ahem*.

Faisant les cent pas sur la passerelle, Dorja ruminait tout cela à la lumière des conseils de son père lorsqu'il avait débuté sa carrière militaire ("N'accepte jamais d'ordres d'une femme !") ou des paroles sibyllines de son ex-épouse ("Toi, mon c*nnard, t'as un sérieux problème avec les femmes"). Non, décidément, le renommé général Dorja n'était pas prêt à endurer les caprices, les sautes d'humeur, les décisions insensées de sa commandante en chef... Même si son apparente insouciance devait nécessairement dissimuler quelque intelligence supérieure pour survivre dans cet univers impitoyable.
Mais plus que tout cela, ce qui insupportait Dorja, ce qui le mettait dans une rage noire, ce qui l'empêchait de dormir même après cinq nuits blanches, c'était... une innommable, une insondable jalousie. Rien ne le blessait davantage que de voir Alice poser les yeux sur un jeune athlète aux muscles inversement proportionnels au QI; son appétit en la matière déclenchait de douloureux déglutissements parmi tout l'équipage, habitué à la voir se balader en petite tenue de nuit mais aussi à voir ressortir de ses quartiers somptueux un flot quasi-continu d'éphèbes exténués. Non, vraiment, cette immonde garce mettait les nerfs de Dorja à bien trop rude épreuve.

Il tentait d'affermir sa résolution face au conflit qui l'attendait (sans aucun doute le plus difficile de toute sa carrière) lorsque la porte à double battants s'ouvrit dans un claquement de talons et une symphonie de frous-frous.


- Imp... Madame, que... Quelle magnifique robe. Aaargh.
- Oh, elle vous plaît ? Merci, Dorja, vous êtes trop chou.

Et elle réussit l'acrobatique prouesse de faire virevolter 20 m² de tissu (dont à peine 5 cm² au-dessus de la taille) tout en lui déposant un baiser claquant sur la joue.

- A-aargh.
- Vous aussi, vous trouvez que le satin d'Ypqa me va bien au teint, hein ? Ca rehausse le rose de mes joues, je crois. Bon, vous m'avez appelée pour quoi exactement ? Parce que moi aussi j'ai plein de choses paaassionnantes à vous dire.

A dire vrai, il ne l'avait pas exactement "appelée": il avait sollicité une entrevue exceptionnelle. Mais Alice avait le don de simplifier les choses, ce qui aurait ravi bien des hommes de cet univers - pas Dorja. Il avait la bouche ouverte depuis un moment, aussi n'eut-il pas à faire cet effort, mais ses cordes vocales mirent trop longtemps à s'échauffer et l'occasion de vider son sac s'enfuit aussi vite qu'un reflet cuivré sur une peau d'albinos.

- Allons, asseyons-nous, il faut que je vous explique. En fait, on va partir en mission. Enfin, pas en guerre. Ah, zut, attendez, je vais commencer par le début, sinon vous allez encore me poser pleeein de questions barbantes *hihi*. Alors, euh...

Elle lui expliqua alors avoir reçu un message confidentiel de la Grande Inquisitrice Kirika, lui intimant l'ordre de se rendre aux coordonnées 14:2X0:A3 pour opérer la colonisation d'un monde inconnu sur lequel les radars auxiliens auraient détecté d'importants gisements de deutérium. Mais il serait profondément injuste de ne pas rapporter au lecteur le contenu exact de cette discussion, aussi... la voici.

- Alors vous voyez, c'est Kiki qui m'a appelée, on a parlé un peu chaussettes, mais elle était pressée, elle m'a dit qu'elle manquait de deut' à fumer pour ses coquineries, alors voilà, elle veut que j'aille coloniser une planète au nom bizarre, je sais plus vraiment où, je crois que j'ai noté ça quelque part, enfin bon, elle dit qu'il y a plein de deutérium là-bas, moi j'y crois pas trop, c'est juste pour m'éloigner pendant la sauterie qu'elle va donner avec ses amis et elle veut pas m'inviter, mais elle ne veut pas me faire de peine, alors elle m'envoie à pétaouchnok pour pas que je râle, mais je lui ai dit que j'étais pas dupe, mais que comme on est copines j'irais sur cette fichue planète toute pommée, à condition qu'elle contacte Maaj, vous savez, mon grossiste de lait de jument, pour qu'il fasse livrer 400 hectolitres sur ma planète mère pour que je n'en manque pas à mon retour, sinon je serai vraiment en colère, et Kiki elle va m'entendre, parce que m'envoyer comme ça à... Enfin vous voyez quoi, toujours aussi égoïste la Kiki, mais je lui en veux pas bien sûr, c'est une chic fille même si elle est un peu c*l serré. Donc... Vous m'écoutez, oui ? Non ? On va là-bas, on monte quelques mines et on revient à toutes pompes pour être à l'heure à la surboum de Tigrou. Il m'a dit qu'il y aurait des aloriens tout frais rien que pour moi, quel ange, il veut toujours me faire plaisir lui ! Faut pas que je sois en retard, vous ferez bien attention, hein ?

Lorsqu'elle reprit sa respiration, son esquisse de corsage évoqua la brusque ascension et la non moins violente chute d'un Empire; puis elle fit un clin d'oeil à son général en chef et s'éclipsa avec une grâce toute, hem, aliciesque. Dorja fondit en larmes.

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- Dix de chute, mon valet bat votre quatre, je fais casse et vous êtes cuit. J'vous ai eu, patron.
- Fikij... Sale mioche, toujours c'te foutue veine. Tu m'les brises.

Eirko vida sa chope et congédia son aide de camp d'un grognement; celui-ci, habitué à la mauvaise humeur du gnome, ne s'en offusqua pas, et se permit même une petite révérence moqueuse avant de sortir. Eirko lâcha quelques injures lorsque la porte se referma et que le courant d'air fit voler les cartes.

La journée avait été mauvaise. 1600 moustiques tout droit sortis des usines avaient été sacrifiés pour rien dans une tentative de perturber la trajectoire d'astéroïdes autour d'une des planètes d'Alice... Le "divin nabot" (expression favorite des soubrettes de son palais - ses détracteurs préféraient "vilain pas beau", allez comprendre) avait visiblement aussi peu de réussite en création de lunes qu'au jeu.

Pourtant il faudrait bien qu'il y parvienne, pour enfin gagner le respect des Auxiliens et accessoirement pour faire plaisir à Alice... Après tout, elle lui achetait très régulièrement son excédent de deutérium et ne faillissait jamais à ses promesses. A lui de tenir les siennes.

Il marmonnait en rammassant les cartes tombées à terre lorsqu'un vieux majordome sec comme une trique ouvrit précipitamment la porte et entra, tout ébouriffé. Nul besoin de sentir son haleine pour deviner qu'il sortait d'une cuite mémorable.


- Chef, on a, euh, un problème.
- Tiens donc. C'est marrant ça, quand j'ai vu ta caboche, j'm'en suis douté, Toto.

Le dénommé Toto (Gian-Alberto Mascartanfilagiato de son vrai nom, eh oui, à se demander pourquoi on s'étonne de voir autant de dyslexiques à l'école, hmm) se tordit furieusement les mains et se mit à transpirer abondamment en s'expliquant.

- Chef, y'a un message de la chef des Auxiliens, la Grande Inquisitrice Kirika. Elle vous demande d'aller coloniser une planète éloignée pour y exploiter du deutérium. Chef.
- Et il est où l'problème ?
- Eh bien, euh, c'est-à-dire que, euh...
- Accouche !
- Le message, euh, chef, il date d'il y a deux jours, chef. Y'a trois jours de voyage et on doit y être demain. ... Chef.

Eirko se prit théâtralement la tête à deux mains en implorant tous les dieux de l'univers connu de punir tous ces fichus ivrognes qui gangrènent les administrations et ne sont même pas foutus de transmettre un fichu message à leur foutu chef. Enfin, pour être précis, il dit: "Oh p*tain mais quel c*n".

- Bon, finit-il par se reprendre; après tout, personne ne s'ra là-bas pour nous enguirlander, hein Toto ? On n'a qu'à s'magner l'train pour construire des mines et on rattrapera not' retard !
- Eh bien, chef, pas exactement, y'a Mademoiselle Alice aussi...
- Hein ??
- Vous êtes envoyés tous les deux pour coloniser cette planète, et elle vous attendra là-bas... Chef !
- Haaaa mais fallait l'dire plus tôt mon vieux Toto ! C't'une sacrée bonne nouvelle finalement !

En ne prêtant plus aucune attention à Gian-Alb... disons Toto, Eirko se précipita vers un communicateur pour joindre un vieil ami contrebandier et lui demanda la permission d'emprunter ses portes de saut pour gagner un peu de temps. Comme l'autre acceptait avec empressement sans rien demander en échange de ce service, Toto supposa qu'Eirko devait avoir en sa possession des informations suffisamment compromettantes pour que le contrebandier se sentît tenu par, hmmm, une partie fort sensible de son anatomie.

Finalement, le majordome fut envoyé préparer un vaisseau de bataille pour cette mission; il ne parvint pas à comprendre comment il avait pu se tirer de ce mauvais pas sans la moindre réprimande. Eirko semblait ravi.


-------------


Assis sur son siège préféré (un immense trône en ferraille avec juste un gros coussin moelleux sous le postérieur), Eirko vit la planète grandir sur l'écran panoramique de la passerelle de son vaisseau de colonisation. Elle était blanche, du fait de l'épaisse couverture nuageuse la protégeant tel un cocon, mais les quelques trouées dans les nuages laissaient transparaître un vert jade qui fascinait Eirko. Les capteurs du vaisseau indiquaient que la surface était recouverte à 80% de forêts denses et riches en vie, communément appelées "équatoriales" bien qu'elles s'étendent ici à plus de 70° de latitude.

Qui disait forêt équatoriale ou jungle, disait vie fourmillante et sauvage; la plupart des êtres humains pensaient alors aux insectes, aux serpents et à l'humidité étouffante. Mais Eirko adorait ce genre de climat, et son humeur déjà excellente frisa l'euphorie lorsqu'il vit un vaisseau de bataille émerger d'une déchirure spatio-temporelle.


- Parfait, parfait, héhé, v'là la p'tite dame. Crénom, c'est-y-pas une fichue bonne invention qu'ces portes ed' saut !

Quelques minutes plus tard, une navette l'amena au vaisseau d'Alice; il franchit le sas sur son éternel fauteuil grinçant et... non, pas si couinant que ça, mais dégoulinant d'huile car sortant juste d'une révision complète. En d'autres termes, il s'était fait beau pour l'occasion.

Il faillit débiter quelques piques salaces en croisant du regard le visage cendreux du général Dorja, mais la splendeur d'Alice l'en dissuada. Non qu'elle fût vêtue de façon provocante ou aguichante; non, non, en réalité, elle était bien couverte. Il était même impossible d'apercevoir autre chose que ses grands yeux rieurs sous l'invraisemblable épaisseur de fourrures, de moumoutes et de lainages bariolés.


- Eirkooo ! Pardon de t'avoir fait attendre !
- Ce n'est rien, ôôô ma p'tite dame, fit le gnome avec un moulinet de bras pour singer une révérence. J'attendrai p't'èt'ben toute l'éternité pour vous, hé. Dites donc, qu'est-ce qu'z'êtes splendide dans ces atours ! Vous m'faites penser à, euh, un p'tit ourson tout poilu.
- Ooh merci mon lapin, répondit-elle en gloussant. Je me suis dit qu'il ferait sans doute très froid sur une planète où personne n'a encore installé de chauffage. Tu crois pas ? En tout cas on va trinquer avant de descendre ! Dorja, remplissez-moi donc ces coupes de champagne, et mettez-moi une paille dans la mienne, je trouve plus ma bouche là-dessous.

Eirko se garda bien de la convaincre de changer de tenue: la connaissant, il se préparait déjà mentalement au strip-tease parfaitement impudique qu'elle accomplirait sitôt le pied posé sur le sol de cette planète. Brrrr, il se sentait tout chaud, d'un coup...
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MessageSujet: Re: Armaghast   Armaghast EmptyVen 15 Sep à 12:29

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- Hooo regardez le petit singe comme il est mignooon !

N'ayant gardé qu'une fine couche de dentelle diaphane sur sa peau dorée, Alice dansait, bondissait, évitant contre toute attente les plantes carnivores, les vipères sournoises et les scorpions tapis sous les racines titanesques des arbres millénaires. Le singe en question avait certes d'immenses yeux rouges injectés de sang et des griffes de vingt-cinq centimètres, mais ses grandes oreilles et son museau de mandrille attendrissaient Alice. La trentaine de soldats qui l'escortait n'en tenait pas moins en joue la bête sauvage, perchée sur une branche à moins de deux mètres de la jeune femme.

Eirko suivit son intuition et détourna l'attention d'Alice.


- R'gardez ma p'tite dame, le beau champignon tout vert, ça doit ben peser dans les trois kilos c'machin-là, vous croyez pas ?

Alice se détournant de lui, le pithécanthrope bondit sur elle, toutes griffes dehors; ses pattes arrière n'avaient pas encore décollé de la branche qu'une vingtaine de fusils plasma l'avaient désintégré en une pluie d'étincelles bleutées. Alice se retourna, fut visiblement chagrinée de voir que son nouvel ami simiesque était parti se cacher et blâma ses soldats:

- Vous faites trop de bruit ! Comment voulez-vous que ces gentilles bébêtes me fassent confiance si vous les effrayez comme ça ? Rhooohlàlà, quels nunuches vous faites !

La visite se poursuivit. Visite parfaitement inutile, bien entendu: nul besoin qu'Alice et Eirko, chefs de guerre renommés et redoutés, posent le pied (ou le moignon) sur une planète potentiellement hostile alors que seules quelques équipes de construction et d'exploration avaient des tâches à accomplir. Mais bien évidemment, toute nouveauté était source d'émerveillement pour Alice, et Eirko l'avait accompagnée de bonne grâce.

Ils croisèrent donc une araignée - non, correction: un char de combat monté sur huit pattes, dont Alice voulut absolument caresser la queue... Ou le dard chitineux de deux mètres, qu'importe. Ses gardes du corps, experts en psychologie féminine, acceptèrent à condition qu'elle ferme les yeux quelques secondes; cela l'amusa énormément, et pendant ce temps ils s'empressèrent de faire fondre l'intégralité du système nerveux de l'arachnopode et de congeler à 2° K l'hectolitre de venin stocké dans son abdomen en forme de zeppelin. Alice put alors tâter l'appendice et s'étonner qu'il ne piquât absolument pas - nul ne lui dit qu'il avait été consciencieusement raboté, non, il devait simplement s'agir d'un vieux spécimen ayant transpercé mille et une chairs et donc... tout simplement usé. L'explication sembla la satisfaire.


- C'est génial, j'adore cette planète, j'apprends plein de trucs ! On devrait faire ça plus souvent, vous croyez pas ?

Tous les soldats serrèrent les dents et s'entre-regardèrent avec un air commun de chiens battus. Eirko pointa du doigt le ciel, ou du moins l'endroit où on aurait pu s'attendre à le voir.

- Voyez ça, ma jolie ? Les arbres sont tell'ment grands qu'on voit pas l'ciel ! Ca s'appelle le canot-pet que j'crois ben !
- La canopée, corrigea un lieutenant dans un murmure.
- Wahou, ça doit être super beau ! On pourrait monter jusque-là pour voir, non ?

Les désirs d'Alice n'étaient pas nécessairement des ordres; un "non" n'aurait pas entraîné de sanctions, de réprimandes, de torture ou d'exécution sommaire comme chez nombre de ses rivaux. Non, un "non" la rendait simplement profondément, ostensiblement malheureuse. Et nul être masculin ne pouvait tolérer cela. Il paraîtrait que c'est une histoire de glandes.

On fit donc monter l'ex-Impératrice, six de ses meilleurs soldats et Eirko dans une petite navette de surface qui s'éleva rapidement jusqu'à la cime des arbres, quatre cents mètres plus haut.


- Hooo, un serpent ! Regarde, Eirko, regarde, il est tout bleu !

Il était assez vexant d'appeler "serpent" un animal arboricole de cinq cent soixante mètres de long s'enroulant lascivement autour de troncs dont le diamètre aurait fait rougir de honte les séquoïas géants. La chose se mouvait relativement lentement, mais les frissonnements de sa peau écailleuse laissaient présager de sa force. Eirko songea qu'elle était peut-être capable d'écraser le tronc en le compressant entre ses innombrables anneaux. Il frémit et se félicita de ne pas avoir vu sa tête... La navette lui parut soudain bien vulnérable.

Une fois sous la canopée, le pilote tira quelques rafales de canon à ions pour dégager une trouée et hisser le petit vaisseau au-dessus de l'enchevêtrement de branches et de lianes. Tous, même Alice, en restèrent sans voix.

Il faut reconnaître que la vue était en tous points sidérante. Tout d'abord, la surface de la canopée était étrangement plate. A croire que quelque demi-dieu jardinier la taillait tous les mois comme une haie.

Le vert jade qui avait émerveillé Eirko en orbite se révélait ici dans toute sa splendeur: éblouissant, surnaturel, il aurait poussé n'importe quel botaniste intègre à soumettre sur le champ les arbres à un contrôle anti-dopage.

Ce Vert avec un grand V, toutefois, n'était pas uniforme; quelques traînées blanches étaient visibles çà et là, telles des branches albinos. Nouvel élément à charge en faveur d'une prise de sédiments illicites, hmmm.

Tout cela était fort intrigant; chacun tentait d'associer ce qu'il voyait avec une ébauche d'explication rationnelle. Et comme bien souvent, la lumière vint de la désormais célèbre (et redoutée) intuition féminine.


- Wouah c'est trop beau ! On pourrait presque jouer au foot là-dessus !

Et pan. Eirko chancela sous le choc. Ses yeux virent enfin ce que son inconscient avait filtré pour lui éviter de sombrer irrémédiablement dans la folie: des tentacules, certains bleus, certains rouges, plantés dans la canopée, se déplaçaient avec une grâce éléphantesque. Tout fut clair: c'étaient là les têtes des monstrueux reptiles arboricoles. D'un côté les bleus, de l'autre les rouges... Ils jouaient au foot. Ces... machins énormes jouaient au foot au travers de la canopée.

Eirko se mit à gémir.


- Uuuuuuurgh... Je veux surtout pas savoir où est le ballon... HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA !

Une pelote de laine fonçait sur la navette. Bon, d'accord, elle était constituée d'une roche semblable au marbre, donc légèrement plus solide que de la simple laine; et puis, elle faisait trois fois la taille de la désormais minuscule navette. Mais elle ressemblait vraiment à une pelote de laine.

Le pilote gagna ce jour-là une promotion, deux médailles, la renommée (la manoeuvre "évitement d'une pelote de laine en terrain hostile" porta par la suite son nom pour l'éternité)... et sauva sa peau, ce qui est le plus étonnant. Eh oui, gagner des médailles à titre posthume, c'est à la portée de n'importe quel troufion; mais le faire de son vivant... Respect.

Bref, le pilote réussit l'exploit de faire une brusque embardée sur le côté, d'éviter le "ballon", d'accélérer brusquement pour ne pas s'écraser contre un "joueur", de contourner un autre tentacule, de faire une sorte de pirouette pour faire passer la navette en-dessous de la "pelote" qui revenait à une vitesse supersonique, de canarder la canopée et de faire plonger l'engin par le trou ainsi créé - tout cela sous les applaudissements ravis d'Alice et les hoquets nauséeux des autres passagers.

La navette une fois posée, ceux-ci, hormis Eirko qui fit celui qui "en avait vu d'autres", détalèrent dans les fourrés pour soulager leur estomac à l'agonie; Alice tenta de raconter à un Dorja incrédule ce qu'elle avait observé tout là-haut. Eirko appuya son récit sans queue ni tête (enfin, si, mais passons) en opinant régulièrement du chef. Lorsque tous se furent remis de leurs émotions, Alice décréta que l'humidité ambiante lui donnait une terrible envie d'un bain chaud, et la troupe regagna le vaisseau de bataille posé dans une clairière aménagée (à savoir une partie de la forêt, rasée à raison de quelques rayons plasma savamment dosés).

Pour la petite histoire, et parce que l'auteur respecte l'honnêteté profonde du lecteur le poussant à aller au bout de toute information contribuant à son enrichissement culturel: les rouges humilièrent les bleus quatre buts à un; ceux-ci mirent violemment en cause l'état du terrain.


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- Foutue vie d'chien. Marre d'ces gonzesses qui s'foutent ed'ma sale tronche. Ha ! J'suis vraiment qu'un pauv'crétin. Grmbl. Sale môme.

C'était en substance ce que marmonnait Eirko dans sa barbe. Enfin, il n'avait pas de barbe, pour une raison fort embarrassante: lors de la seule intervention chirurgicale qu'il avait accepté de subir, une dizaine d'années plus tôt, le médecin avait remodelé le bas de son visage et utilisé une greffe de peau pour améliorer un peu l'apparence de son patient. Hélas, il avait prélevé de la peau sur son postérieur, et Eirko avait donc un menton imberbe et aussi lisse qu'une fesse de bébé. Tragique atteinte à sa virilité, même s'il avait remarqué que cela plaisait fort à certaines femmes...

Bref, pour en revenir à nos moutons, Eirko marmonnait. Il suivait nonchalamment la seconde équipe d'exploration sur le versant ombragé d'une petite chaîne montagneuse; les arbres étaient rares ici, et l'on pouvait respirer plus aisément. Quelques animaux apparentables à des cervidés gambadaient sur les rochers avec plus d'adresse qu'Eirko n'en aurait jamais. Mais bon, quatre pattes, ça aide un peu, songea-t-il avec amertume.

Le Major Azion, responsable de l'escouade, attendit qu'Eirko vînt le rejoindre et le tint au courant de leurs relevés.


- Comme nous le supposions, Monsieur, la zone est assez riche en deutérium; nos sondes ont relevé la présence de deux grands nappes souterraines, dont une relativement peu profonde. Le site me paraît excellent pour installer nos premiers puits de forage.
- En v'là une nouvelle qu'elle est bonne - aïe ! mon dos. Et pour les centrales solaires, z'avez une idée Major ?
- Eh bien, nos scientifiques sont partagés... Certains veulent raser quelques kilomètres carrés de jungle pour y aligner des capteurs, d'autres sont d'avis de disposer ceux-ci en altitude et de transmettre l'énergie au sol par micro-ondes.
- Et z'en pensez quoi ?
- La première solution a l'avantage d'être moins coûteuse en temps et en matériaux, mais la seconde me semble plus respectueuse de l'environnement. Outre les considérations éthiques que je vous laisse étudier, il me semble que nos hommes qui resteront ici pour faire vivre la colonie se sentiront plus en paix avec cet environnement s'ils ne se réveillent pas chaque matin au beau milieu d'une terre calcinée.
- Z'en avez parlé avec eux ?
- Pas encore, Monsieur. Je le ferai si vous m'en donnez l'autorisation.
- Hm-mm. J'vais réfléchir à tout ça. C'est fichtrement compliqué, mine de rien.
- En effet, Monsieur. Quel est l'avis de Mademoiselle Alice à ce sujet ?
- J'en sais foutrement rien ! explosa Eirko. Elle fait des galipettes d'puis hier soir, et j'me r'trouve tout seul à faire tout l'boulot !

Azion changea rapidement de sujet et ils poursuivirent leur marche. Ils parcoururent encore quelques kilomètres autour de leur point d'atterissage avant de rejoindre le campement. Une fois le briefing expédié, Eirko ne retint plus sa colère et s'élança vers les quartiers d'Alice. La porte de l'antichambre s'ouvrit sur un jeune Apollon dans le plus simple appareil, recroquevillé sur lui-même, totalement exténué.

- C'est par là... pointa-t-il du doigt la porte de la chambre sans lever les yeux. S'il avait vu ma bobine, il aurait compris que je n'étais pas là pour prendre la relève, se dit Eirko.

Le gnome inspira un grand coup, ajusta machinalement son veston et poussa la porte.

L'enfer doit ressembler à ça, pensa Eirko.

Quatre jeunes hommes agitaient d'immenses éventails pour qu'un léger courant d'air circule en permanence dans la pièce surchauffée. Deux autres tenaient à bout de bras un énorme lumignon rouge au centre de la chambre. Quatre autres s'époumonnaient à jouer de la trompette bouchée, produisant un étrange chuintement comme une fuite de gaz. Trois Adonis, vêtus de robes de satin rose et de longues perruques blondes, se tapaient dans les mains tandis que cinq autres, vêtus de même, faisaient de la corde à sauter. Quatre jeunes gaillards aux muscles saillants ahanaient en portant sur leurs épaules une petite estrade; sur cette estrade se tenaient plusieurs de leurs camarades, savamment disposés pour créer, à force de courbes et d'appuis judicieux, un siège de chair sur lequel trônait Alice, resplendissante en tenue d'Eve, sirotant une grenadine tenue par un chérubin baraqué de quatre-vingt dix kilos suspendu au plafond par des câbles transparents.


- Oh misère...
- Eirkoooo ! Comme c'est chou de venir me rendre visite ! Tu te joins à nous ? Allez les doudous, faites-le monter !

Les porteurs lui jetèrent un regard assassin mais une main se tendit malgré tout vers lui pour lui faire la courte échelle; Eirko recula, un peu effrayé.

- Nonononoooon, ma p'tite dame, j-j-je voulais-t'y point vous déranger dans vos z'amus'ments, j'voulais juste discuter avec vous d'choses et d'autres, mais j'vois ben qu'z'êtes fort occupée, alors j'crois ben que j'reviendrai plus tard, si vous n'y voyez -...

... pas d'inconvénient, finit-il une fois la porte refermée derrière lui. Son coeur battait à tout rompre; il avait l'impression qu'un trou noir s'était formé dans son ventre, aspirait tous ses boyaux et menaçait de le faire disparaître tout entier dans un *plop* discret.

Une ribambelle de, aargh... remplaçants s'approchait, serrant les dents à l'avance, tentant de se souvenir qu'ils étaient bel et bien des hommes et que leur perte de dignité serait passagère... Eirko ne put s'empêcher de leur adresser un sourire d'encouragement, puis fila à toute allure vers ses quartiers, prit une douche glacée et s'effondra sur son lit.

Il passa la nuit à cauchemarder de sublimes et interminables guiboles aspirées dans un océan de chair huileuse et poilue; lorsqu'il finit par se lever avec une horrible migraine, il ne parvint pas à chasser de son esprit l'image de ce pauvre petit colosse ficelé en l'air, des ailes de plume scotchées aux omoplates, les yeux humides et les joues rosies par la honte. Il se promit de haïr cette ogresse.
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MessageSujet: Re: Armaghast   Armaghast EmptyVen 15 Sep à 12:29

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La nuit fut douce et reposante pour Alice. Son lit à baldaquins, ceint de draperies diaphanes, occupait la plus grande pièce du vaisseau; non loin, une volière abritait des oiseaux chanteurs et des bâtons de cannelle brûlaient sans discontinuer, créant dans la pièce une atmosphère propice aux rêves. Après une soirée aussi amusante, il fallait bien cela pour que l'ex-Impératrice reprenne des forces...

Lorsqu'elle se leva, elle se vêtit sans tarder d'une salopette jaune et de pantoufles assorties, et rejoignit Dorja dans le QG improvisé en pleine nature; Eirko et deux de ses généraux participaient à la réunion. Tous la saluèrent lorsqu'elle entra, hormis Eirko qui devint tout blanc.


- Coucou les p'tits loups ! Ca boum ? Vous bossez ?... Oh ben dis donc Eirko, t'as pas la pêche on dirait ! Mal dormi ? Tu veux une p'tite tisane pour te requinquer ?

La solidarité masculine battit aussitôt son plein: les haut-gradés bombardèrent Alice d'informations afin de permettre à Eirko de s'éclipser un instant. Dorja avait vécu cette situation de nombreuses fois; il compatissait pleinement aux malheurs du pauvre petit gnome, même si une parcelle sadique de sa conscience se délectait de voir que d'autres partageaient sa souffrance.

Alice s'abreuva des renseignements délivrés; elle réfléchit ensuite intensément, Dorja faisant signe aux autres de se taire pour qu'elle reste concentrée. Une petite minute plus tard, elle annonça ses décisions: centrales solaires orbitales, trois mines de deutérium dont une sur une nappe profonde pour tester la viabilité de telles installations sur la roche excessivement tendre de cette planète; construction d'une petite ville au centre du triangle formé par ces trois mines, et abandon progressif du campement actuel.

Aussi extravagante qu'elle fût, Alice n'en était pas moins une experte en prise de décisions: rapide, efficace. Son cerveau fertile, si doué pour imaginer de nouveaux loisirs exotiques, savait également analyser toutes sortes de données et calculer les meilleures solutions en toutes circonstances. Après tout, il fallait bien posséder quelque talent hors du commun pour prétendre au titre de chef de guerre dans un univers aussi violent et impitoyable...

Le briefing achevé, Alice se mit en quête du divin nabot; il lui suffit de suivre les gouttes d'huile qu'il semait derrière lui. Elle le retrouva sur le promontoire naturel qui dominait le campement provisoire côté ouest et offrait un peu d'ombre aux corps exténués lorsque l'après-midi touchait à sa fin. Eirko tressaillit lorsqu'il l'entendit approcher, mais ne se retourna pas. Il se retint également de la regarder lorsqu'elle s'assit près de lui, se mettant à sa hauteur.


- Dis, Eirko... T'as l'air patraque.
- Hmmm. Ca va.
- C'est à cause de moi ?
- ... Z'avez une belle salopette, grommela-t-il en guise de réponse.
- Merci. Mais... C'était pas ma question. C'est à cause d'hier soir, hein ? Tu crois que je suis folle ?
- ... Nan, sûr'ment pas. *Juste un peu cinglée*, se retint-il d'ajouter.
- Juste un peu cinglée, c'est ça ?
- Grmpff. C'est vot' vie, pas mes oignons, tout ça. J'm'en fous. Du moment qu'vous m'forcez pas à faire pareil.
- Tu crois que je ferais ça ??
- J'sais pas. On peut pas parler d'aut'chose non ?
- Ben... Non. Comme disait ma nounou, quand y'a un abcès, faut le crever.
- Ah. C'était une sadique, vot'nounou ?

Alice ignora cette nouvelle tentative de détourner la conversation et se rapprocha encore un peu d'Eirko pour mieux appuyer ses propos.

- Je crois qu'il faut que je t'explique quelque chose.
- Ah. Moi j'crois pas.
- Tu ne m'en empêcheras pas ! Je n'ai parlé de tout ça à personne, mais je crois que c'est le moment où jamais. Sinon tu me regarderas de travers pour le restant de mes jours. Et ça, ça me plaît pas.
- Alors il faut plaire à Madaaaame... J'vous écoute, ôôô Impératrice, à vos ordres, ôôô Impératrice.
- Ho, arrête ça, abruti ! Tu ne veux pas savoir pourquoi j'ai tant besoin de, heu... dominer ? Même en m'amusant ?
- ... Laissez-moi réfléchir... Hmmm, nan, tout bien réfléchi, j'veux rien savoir. Du tout.
- Tu veux une baffe ?
- Non plus. Sans façons.
- T'es chiant tu sais ?
- J'vous ai pas d'mandé la messe, si ?
- Bon, très bien... Tant pis pour toi.

Elle l'empoigna par l'ourlet de son veston bordeaux et le projeta à terre, à plat ventre. Un genou contre son dos, les mains derrière la tête, elle l'immobilisa fermement.

- Alors maintenant tu vas m'écouter, sinon je vais vraiment m'énerver !

Et il l'écouta.

Lorsqu'elle eut fini, elle le rassit convenablement sur son siège, s'excusa d'avoir abîmé son veston et s'en alla d'un pas décidé vers le sas de son vaisseau. Eirko la suivit des yeux puis resta seul un long moment; l'est se paraît des premières lueurs de l'aube lorsqu'il se décida à rentrer.


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Deux nouveaux jours passèrent. La première mine de deutérium fut mise en service, et une petite fête fut organisée à l'occasion; l'alcool coula à flots, rendant l'humidité et la chaleur un peu plus supportables l'espace d'une soirée. Le lendemain matin, alors qu'Alice, Eirko et leurs principaux sous-fifres planifiaient les dernières étapes de la colonisation ainsi que le voyage de retour, un jeune cadet déboula dans la salle de réunion, l'air passablement effrayé.

- Eh bien mon tout doux, fit Alice en câlinant du doigt son menton imberbe. Qu'est-ce qui te fait courir comme ça ?
- M-m-m-madame, un message v-v-vient d'arriver, et j-j-...

Impatiente et un peu inquiète, Alice lui prit le courrier des mains et le parcourut des yeux avant de blanchir subitement.

- Oh bon sang c'est pas vraiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !!!

Dorja se leva pour venir lire à son tour le message; Eirko, assis à droite d'Alice, n'eut qu'à se pencher un peu pour en découvrir le contenu. Il grimaça: la lettre, de toute évidence rédigée dans l'urgence, faisait état de la perte de plus de 2.200 vaisseaux lors d'une manoeuvre ratée en galaxie 2. Dorja tremblait comme une feuille; Alice était à présent écarlate de colère.

Eirko tenta bien de la calmer en posant une main crochue sur son épaule dénudée et en débitant des banalités réconfortantes, mais rien n'y fit. Alice piqua sa crise.

Bon, bien sûr, il faut reconnaître qu'il y avait de quoi: selon les informations dont elle disposait, le commandant de sa flotte principale avait pris l'initiative d'une attaque qui avait tourné au cauchemar. Le rapport évoquait une possible trahison, mais ce n'était peut-être qu'une excuse pour cacher son incompétence... Quoi qu'il en soit, cet homme était mort comme 800.000 autres en ce jour funeste; Alice n'aurait même pas la maigre satisfaction de le torturer à mains nues.

Il y avait donc de quoi s'énerver, mais tout de même... La lourde table de réunion fut fracassée en trois, Dorja prit une baffe perdue sur la tempe et le cadet s'en tira avec un violent coup de pied aux fesses; Eirko fut le plus à plaindre, héritant d'un sauvage coup de boule sur le sommet de son crâne légèrement dégarni. Il s'écroula à terre.

Voir Eirko inconscient à ses pieds sortit soudainement Alice de son état second. Elle le regarda un instant, hébétée, puis se jeta sur lui en implorant son pardon; comme il ne répondait pas, elle le secoua par les épaules, ce qui n'eut pour effet de faire basculer sa tête d'un côté puis de l'autre. Terrorisée, elle tenta de se souvenir de ses leçons de secourisme, cogna une paire de fois sur sa poitrine puis lui fit du bouche-à-bouche.

Eirko reprit des couleurs, et le vaillant cadet s'apprêtait à suggérer à Alice de le laisser respirer seul lorsque l'index d'Eirko oscilla furieusement de droite à gauche à son intention (il ne sera pas dit que son majeur fit ensuite un geste tout aussi explicite - ce serait très malpoli). Voyant cela, Dorja se maudit de ne jamais avoir eu autant d'imagination que ce vilain nabot; qui sait ce qu'il aurait pu accomplir au cours de ces longues années passées au service d'Alice...
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MessageSujet: Re: Armaghast   Armaghast EmptyVen 15 Sep à 12:30

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La mission touchait à sa fin, du moins pour Alice, Eirko et les membres d'équipage qui feraient le voyage du retour avec eux. Pour les autres, les premiers colons de cette planète d'émeraude, commencerait très bientôt une longue période d'isolement pendant laquelle ils devraient s'acclimater à la vie locale, en pleine autarcie, et mettre en place une forte production de deutérium. Il était clair pour tous que plus la production serait élevée, plus fréquents seraient les trajets de frégates... Et donc les possibilités de laisser d'autres colons prendre la relève.

Alice avait voulu se lancer dans une nouvelle expédition pour découvrir les "merveilles" de la forêt vierge, mais s'était heurtée à un refus unanime. Un peu déçue, elle avait fini par accepter un compromis: un petit groupe de botanistes (en fait, un commando armé jusqu'aux dents) irait lui dénicher quelques fleurs rares et bestioles adorables (soumises à des doses massives d'inhibiteurs de comportement, histoire d'éviter les mauvaises surprises).

Pendant que l'équipage faisait un dernier inventaire du matériel laissé au sol et remplissait les soutes des premiers hectolitres de deutérium fraîchement pompés, Alice faisait des guili-guilis à un lézard jaune en disposant des fleurs exotiques dans un vase en cristal en forme de corne d'abondance. Le reptile semblait un peu amorphe mais Alice prenait cela pour de la timidité; après tout, la plupart des mâles perdaient leurs moyens face à elle, alors pourquoi pas un lézard couleur citron...

Une sonnerie discrète l'avertit que l'heure de l'au-revoir aux troupes était venue; elle se détourna de ses nouveaux jouets, couvrit ses épaules d'un foulard pourpre et sortit. Le pistil d'une innocente fleur rouge vif se mua en langue et s'étira, articulant un "flebelebeleb" qui fit hausser un sourcil au lézard endormi.


-------------


Alice arriva discrètement (du moins pour elle) et monta sur l'estrade improvisée où Eirko haranguait les colons pour tenter de leur donner un moral d'acier pour les longs mois à venir.

- 'Pouvez ben avoir peur d'êt' seuls comme ça sans assistance; 'pouvez ben craindre que c'te foutue planète inconnue vous bouffe à p'tit feu comme de l'acide. Mais crénom, les z'amis, je sais qu'z'êtes pas des mauviettes ! Vous s'rez jamais seuls si z'êtes solidaires ! C'te planète ne s'ra inconnue qu'tant qu'vous la considèrerez comme telle ! Apprivoisez-la, soumettez-la, c'est vous les chefs nundudju ! Voyez les choses du bon côté: z'avez c'te foutue chance d'être coupés ed'la civilisation pendant quelques mois ! Z'allez pouvoir vous concentrer sur des tâches nobles, des trucs de mecs - ou de femmes, de vraies femmes, s'cusez-moi m'dames ! J'veux dire par là qu'vous pass'rez pas vot' journée à zieuter des écrans qui clignotent de partout, en obéissant bêt'ment aux ordres, moutons parmi les moutons ! Nan les z'amis, z'allez être vos propres chefs, z'allez redécouvrir les joies du travail manuel, z'allez respirer d'l'air pur, vindju, z'allez vous coucher tous les soirs avec le coeur léger, j'vous dis ! D'ailleurs j's'rais ben resté avec vous mais la grande chef râlerait... Et pis j'sais ben qu'z'en avez marre ed'ma caboche !

Eclat de rire général après le silence religieux qui avait accompagné l'épilogue lyrique du discours d'Eirko. Rien à dire, se dit Alice, il est doué pour ça.

- Et maintenant mes bons vieux z'amis, j'vous dis à très bientôt, on s'retrouv'ra autour d'une table dans pas long... Et j'laisse la parole à, euh, hem... Mam'zelle Alice !

Applaudissements discrets, un peu hésitants. Alice avança en se raclant la gorge.

- Bon ben je crois qu'Eirko a dit l'essentiel, euh... Je voulais ajouter que, euh, je vous souhaite à toutes et tous beaucoup de chance et de courage, je vous assure que je penserai bien à vous et que je prendrai de vos nouvelles...

Un "tu parles !" fusa, ainsi que quelques sifflets anonymes.

- J'espère que vous n'abîmerez pas trop cette planète, moi je la trouve très belle, enfin, voilà quoi...

Silence gêné. Alice sourit soudain.

- Ah et puis j'oubliais, la moitié de nos récoltes de deutérium ont mystérieusement disparu de nos comptes... Je crois qu'elle a été transformée dans différentes formes qui vous plairont, dans le nouveau hangar, mais bien sûr je ne suis pas au courant...

Un grognement de satisfaction s'éléva puis se transforma en vivats. Bon, songea Alice, au moins cette bonne vieille méthode marche-t-elle encore.

- J'espère que vous vous amuserez bien avec ! Et que vous ferez de beaux rêves !

Elle appuya cette dernière phrase d'un clin d'oeil à toute l'assemblée, agita le bras en guise d'adieu et s'en retourna vers son vaisseau.

Moins d'une heure plus tard, les deux fiers engins s'arrachaient à l'attraction de cette planète qu'ils étaient venus coloniser; ils s'élevèrent rapidement dans les cieux jusqu'à devenir invisibles aux yeux des colons, naviguèrent jusqu'aux confins du système solaire puis déchirèrent l'espace-temps et se laissèrent aspirer par un vortex les menant... chez eux.


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Tout est lié. Rien n'est hasard. L'univers n'est qu'une vaste tapisserie para-dimensionnelle où les fils de toute chose, de toute existence, s'entrecroisent, s'entrechoquent et tissent des scénarii d'une merveilleuse complexité.

L'irruption de bipèdes chevelus sur une planète isolée ne fut pas un simple coup d'épée dans l'océan insondable de l'univers... Car celui-ci n'a rien d'un océan. C'est une tapisserie, je viens de vous le dire, ou un trampoline aux dimensions délirantes, où chaque corde feint de se reposer bien tranquillement jusqu'à ce qu'une poussière importune la fasse se secouer telle la couette d'une couche nuptiale.

Bref, cette innocente mission colonisatrice fut en réalité le catalyseur d'une série d'événements à la portée phénoménale: eh oui, environ 400 millions d'années plus tard, l'univers imploserait en un big crunch déclenché par une civilisation suicidaire bien influencée par une théorie née sur Vendal II, planète où avait vécu le...

Non, je ne vais pas vous raconter tout ça, après tout, si vous vivez assez vieux, vous le verrez vous-même. Eh oui, ça se passera près de chez vous. Bien mérité ! Aha, vous commencez à regretter ce que vous avez fait au chien de la voisine, hein ?...

Trêve de disgressions - je vous expliquerai tout de même en quoi les babillages d'Alice et les facéties d'Eirko sont à l'origine d'une apocalypse programmée.

La vérité est ailleurs, comme dirait l'autre; ailleurs, loin d'ici, dans les forêts sombres et humides de cette fameuse planète. Plus encore que la présence de colons pendant les mois qui suivirent, ce furent les rares balades d'Alice et Eirko dans ce lieu vierge de toute incursion humaine qui mirent le feu aux poudres.

Car la société des Xyles était jusqu'alors plongée dans une apathie millénaire. Le dernier événement ayant suscité plus que quelques bruissements de feuilles parmi ces arbres colossaux, c'était lorsqu'un orage titanesque avait abattu l'un d'entre eux, et que celui-ci, dans sa chute, avait brisé le tronc de son voisin. Certains parmi les Xyles, les plus enclins à la critique, s'étaient empressés de le condamner (de manière posthume) pour son égoïsme, au grand dam des amis de longue date du défunt. L'affaire avait alimenté les conversations pendant quelques années, puis l'antique forêt planétaire s'était tue, plongeant dans un marasme somnolent digne d'une session nocturne de l'Assemblée Nationale d'un vieux pays dont j'ai oublié le nom.

Hélas pour nous tous, les Xyles ne restèrent pas indifférents lorsque les humains s'invitèrent chez eux. Ils se réveillèrent soudain, émus par la carbonisation soudaine d'une centaine d'entre eux dans un jet de plasma inattendu, mais aussi, dussent-ils ne jamais l'avouer, un peu perturbés par le décolleté d'Alice. Forcément.

Mue par une vague de ce que leurs historiens appelleraient plus tard un "sursaut démocratique", les Xyles se remirent à penser, à philosopher. Ces arbres gigantesques tendirent leur feuillage vers le ciel, afin de capter un maximum de lumière pour que la photosynthèse nourrisse leur conscience. Ils plongèrent également plus loin sous terre, pour absorber encore davantage de sédiments.

Des courants de pensée émergèrent. Fort de son succès auprès des Xyles adolescents, toujours en quête de leur propre personnalité, "hêtre ou ne pas hêtre" rassembla bien vite des milliers de sympathisants, tandis que les plus vieux arbres manifestaient en faveur d'un retour aux "racines" de leur civilisation. Peine perdue: les changements étaient déjà en route.

Une mouvance libertaire, principalement composée de Xyles ayant eu le privilège de voir Alice en personne, milita publiquement pour la diffusion de programmes de "charme" sur une "chêne" des ondes holographiques fraîchement inventées par un ingénieur Xyle (espèce rare, tant les arbres de cette planète étaient réfractaires au "bouleau"). Malheureusement pour eux, leur projet fut "noyer" dans l'oeuf (quel dommage, "cyprès" du but...) lorsque la "branche" conservatrice du parlement remporta les élections. Le sujet devint dés"orme"ais tabou, et l'on n'en entendit plus parler, "sophora" du sol (non, pas pleureur, ça n'a strictement rien à voir).

La société Xyle fut alors frappée par une terrifiante dérive sécuritaire, comme dans les jours les plus sombres d'un autre pays dont j'ai oublié le nom. Quoique, c'est peut-être le même. Bref, on enferma les délinquants à "frêne", "épicéa" la Santé (alias "le nouveau château d'if") qu'on coffra les opposants politiques. Bientôt, la surface entière de la planète fut sous contrôle de quelques châtaigniers teigneux distribuant des "pins" aux mécontents.

Opprimée, la populace Xyle finit par se soulever. "L'écorce", organisation sudiste spécialisée dans les attentats, débita en tronçons les dirigeants de l'époque grâce à un outil novateur, inspiré des humains et affectueusement surnommé Lassie. La société Xyle chassa ses démons, et les nouveaux dirigeants décidèrent de miser sur le tourisme pour dynamiser l'économie.

Des contacts officiels furent établis avec les colons, ou du moins leurs lointains descendants - car tout cela avait duré cinq siècles, à l'allure d'un platane névrosé fonçant vers une épave de voiture pour mettre fin à ses jours. Les humains apprirent à connaître les Xyles et leurs étranges moeurs, et bien vite les visiteurs affluèrent de l'univers tout entier pour bavarder avec des arbres pensants (sans toujours penser à jeter dans une poubelle du spatioport leur chewing-gum à l'eucalyptus, ce qui créa naturellement quelques incidents diplomatiques).

Et un jour, les Xyles, fiers d'exhiber leur patrimoine, firent ériger une grande bannière au-dessus du portail marquant la frontière entre leur territoire et celui des humains; d'éminents traducteurs s'échinèrent à traduire en phonèmes le nom que les Xyles donnaient à leur monde, et l'on y écrivit donc:


"Bienvenue à Armaghast !"


~~ FIN ~~
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