J'ai besoin de poser tout ça.
On dit que la vie est faite de rencontres. J'en ai faite une. Importante à mes yeux, car je la désirais sans savoir comment la provoquer. Mais ce soir, en montant dans le tramway, je ne m'attendais vraiment pas à vivre un moment si difficile.
Sans voir ni regarder, je me suis assise près d'un homme SDF. Ce n'est d'ailleurs pas à la vue que je m'en suis rendue compte, mais à l'odeur. Je n'avais sincèrement jamais rien senti de si insupportable ; j'en ai attrappé un mal de tête.
Sans l'avoir cherché, il s'est mis à me raconter la vie qu'il mène (peut-on appeler ça ainsi). Avide de parler, je n'ai pas pu comprendre tout ce qu'il m'a dit : il bafouillait, crachait des morceaux de vie en vrac, et je ne pouvais ignorer les regards et les attitudes des gens autour. C'est ce qui m'a répugné le plus.
Tous s'éloignaient, changeaient de place plus ou moins discrètement, une fille à mes côtés a sorti de son sac un flacon de parfum, et s'en est aspergé généreusement les mains, le cou, l'esprit : ils cherchaient tous à ignorer (le terme est faible) l'homme qu'ils ont déshumanisé. Comme si tous se cachaient son existence.
J'ai alors eu l'impression d'être seule à le percevoir, à le regarder. Seule à essayer de voir plus loin que son aspect. Seule à le faire exister autrement que comme une bête, un fantôme qu'il faut éviter. Car comment vit-on si ce n'est au travers des gens et de leurs regards ? Comment peut-il vivre s'il n'existe pour personne ?
Je descends du tramway, et tente de reprendre mes esprits tant bien que mal. C'est dur. Trop dur. Je ne sais pas encore si cette rencontre va me dissuader ou m'encourager à travailler auprès de ces personnes.
Prendre un peu de recul devrait m'aider à décider...