Chroniques d'un monde

ESCALIERS

... car le sol semble avoir éclaté. Ça et là des volées de marches irrégulières en avaient surgi, qui dispersaient les rares passants nocturnes et les perdaient dans les dédales de la vieille ville. Une marche un peu plus longue, une marche un peu plus large : la terrasse d'un café, étroite, exiguë. Un film végétal, qui dégoulinait du mur, était parcouru des reflets argentés de la lune, et de ceux dorés des réverbères. Je me tenais adossé au mur d'une maison proche, et observais. Je me trouvais à la limite du halot jaune de la chaleur humaine. Un pas en avant, et je basculais dans le monde des hommes ; celui de leurs rires et de leurs verres ; j'entrerai dans la salle minuscule, où se tient le bar énorme, et pendant quelques instants, me mélangerait à la misère humaine. Un pas en arrière et je me dissolvais dans le monde de la nuit ; celui des soupirs et des rêves ; j'irai me perdre dans l'infini de la cité endormie ; je croiserai mille personnages fantastiques issus des songes de chacun.

Je ne sais pas encore… Je suis à la croisée de deux chemins, et j'observe…
Le globe humain me semble harmonieux. Mais je sais qu'en grattant un peu à sa surface, l'or se changera en plomb, tandis que l'obscurité irréelle des rêves demeure la même jusqu'à la moelle. L’homme est un mauvais alchimiste…

Soudain l'air change… Eux ne s'en rendent pas compte… Ils arrivent! Ils arrivent! Je le sens! Je le sais! Ça y est! Je les vois! Je me love contre le mur: voir sans être vu… Leurs silhouettes grandissent au bas des marches. Ils approchent. Déjà ils arrivent sur la terrasse, nobles. Elle porte une robe pourpre sous un voile léger, et son visage rayonne de bien-être. Lui a choisi un costume noir, qui lui sied parfaitement. Et ils se tiennent la main. Ils s'arrêtent au milieu des hommes. Eux ne les voient pas. Ils s'échangent un regard. C'est tout l'amour du monde qui passe en eux. Désormais ils sont à l'intérieur… Je ne les vois plus, mais je les sens! Je les sens! Les rires résonnent, les hommes boivent,et…

Un verre se brise… Des étoiles de verre jonchent les marches.

Les voilà qui sortent!
Elle porte des larmes à ses joues, et ses yeux sont rouges… Lui serre les dents et fronce les sourcils… Leurs mains sont désunies… L'entrelac de leurs doigts s'est dénoué… Ils ne se regardent plus. Elle part à droite, longe le mur végétal, quitte le halot humain et se perd dans l'obscurité… Je ne la verrai plus… Lui s'en va par la gauche, et disparaît de ma vue…

Le verre a été remplacé et les hommes, indifférents, rient et boivent. Je n'irai pas avec eux… non… pas ce soir… pas encore… plus tard… Je les observe encore un peu, puis décide de faire demi-tour, vers le rêve et l'absolu de l'obscurité… Je fais un pas en arrière, et déjà, je…

DIALOGUE

…et ainsi pourrait l’atteindre ? Un chuchotement, susurré comme une prière, sort de sa bouche. J’ai l’impression que ces paroles sortent malgré lui, qu’aucun effort n’est nécessaire pour que ces mots prennent vie. Ses lèvres restent presque immobile.

« J’ai l’impression parfois qu’elle est proche. Qu’à n’importe quel moment, elle pourrait se saisir de moi, et me disloquer avec la force d’un raz-de-marée. Qu’adviendrait-il alors du reste ? Que se passerait-il, ensuite ? »

Je ne comprends pas comment cela pourrait lui arriver. Comment elle pourrait faire ça...

« Comment pourrait-elle se saisir de vous ? Expliquez-moi donc, je ne comprends pas. »

Son visage grave, jusqu’à présent vissé au sol, se tourne vers moi. Son regard franc et gris s’agrippe au mien. J’en suis mal à l’aise.

« Comme une lame de fond. Je la sens qui se frotte à moi et me force à dériver. Chaque jour, elle gagne du terrain. Chaque jour, elle transparaît un peu plus, à l’image d’un filigrane qui gagnerait de la consistance. Mon Dieu ! Quelles choses horribles pourraient advenir si elle s’emparait de moi… Protégez m’en ! Par pitié, protégez m’en ! »

Son air apeuré et fragile me déstabilise. Je ne dois plus le regarder… Ne plus voir ses yeux. J’ai un mal fou à détourner le regard. A mon tour de fixer le sol. Je réfléchis rapidement. Il faut que je garde le contrôle sur la discussion, ou bien je ne saurai rien de plus.

« Dites moi alors où je peux la trouver, et lui parler. »

Un rire de dément le secoue, et me glace le dos. Du coin de l’œil, je le regarde et j’ai du mal à croire que de ce corps maigre et faible, rongé par l’angoisse, puisse s’échapper un rire aussi puissant. Subitement, il s’arrête et approche son visage du mien, lentement. Très lentement. Plus lentement. Encore plus et toujours plus proche et plus lentement.

Puis encore ce chuchotement susurré comme une prière...

« Elle s’invite à ma table ; dort à mes côtés ; lit par dessus mon épaule ; se moque de ma réflexion. »

Alors il hurle en se jetant vivement en arrière.

« Je suis pris ! Je suis pris ! »

Je me dresse de surprise, et derrière moi, ma chaise bascule et heurte le sol.
Il s’est accroupi dans l’angle de la pièce, la tête entre les genoux, et caresse ses cheveux, comme pour se rassurer.

« Elle joue avec moi comme un chat jouerait avec sa proie. Pourtant je suis toujours là ! Je ne suis pas perdu... Pas encore...
- Pas encore ?
- Non. Pas encore. »

Le pauvre homme...
Tout à coup, ma peur se dissipe et une pitié sans borne m’emplit. Comment a-t-il fait pour en arriver là ? Mais cet entretien, cette rencontre, aura été bénéfique. Je crois mieux la connaître, désormais. Je ne sais pas encore comment la trouver, mais elle ne me fait plus peur. Je ne la crains plus.

Je jette un dernier regard à sa victime, et décide de m’en aller. De toute façon, je n’apprendrais rien de plus de la part de ce pauvre fou. Et quand bien même il me serait utile de continuer, je ne pense pas que je...

est-ce qu'il me manque quelque chose? Est-ce normal, ces chutes étranges mais o combien délicieuses, qui laissent une envie grandissante de connaître la suite?

explique-moi, explique-nous, continue!!!!!!


Tickle

Merci pour tant d'entousiasme!

Pour ce qui est de continuer : oui, je continuerai... Au rythme auquel ca me viendra cependant! Ces deux textes ont été écrits à 2ans d'intervalle : la suite dans deux ans?

Pour ce qui est de t'expliquer ... mmmh ... non... C'est à chacun d'en faire une analyse, celle qui lui plaira. A part pour DIALOGUE, que j'ai écrit en pensant à quelque chose de précis, il n'y a pas de Vérité dans "ESCALIERS", il y aura ce que vous voudrez bien y mettre...

Peut-être qu'au fur et à mesure des textes, il se dessinera quelque chose, peut-être... C'est dans le domaine du possible... Du probable, non, mais du possible, oui...

En réalité, cela constitue pour moi plus une sorte de défi de technique littéraire qu'autre chose, une sorte d'exercice que je m'impose...

En résumé : suite au prochain exercice !

Eh bien plonge toi dans tes cahiers ou ton clavier rapidement alors!
nooooon, pas deux ans, s'il te plait!!!

oulah candle j ai bien envie de te piquer l'idée de dialogue(tu me crois pas?)... trés intense trés bien écrit. on voit le début d'une enquête sentimentale, à moins que je ne me trompe, et c'est une idée certe originale car les serial killers (killeuses) existent aussi dans ce domaine... ce soir, je crois que je pourrais interprèter ce pauvre fou dont tu nous parles..(quelle journée). sinon je dirais: "la classe". le style n'est pas là pour rien, il n'est ni trop expérimental, ni cliché, bonne présentation de l'enquêteur. Au feeling ca donne bien.

Jolie perspicacité, Skid...

Mais désolé pour toi, l'idée est déjà prise...