Sans chaine ni aucune autre contrainte, mon cerveau perturbé et embué par les mots et sentiments, et peut être bien une certaine théorie de la noosphère... a manoeuvré pour que j'écrive ce texte alors le voilà...
LA MUSE
Il regardait la page devant lui, elle était immaculée… Le seul mouvement était le clignotement lancinant du curseur sur l’écran. Il le titillait, se moquait d’être resté si longtemps au même endroit, immobile et stérile. Et lui restait devant l’ordinateur à attendre je ne sais quel éclair de génie. Mais il le savait, il ne pouvait plus écrire…
La source était tarie, surexploitée jusqu’à ne plus être ; elle l’avait abandonné…
Tous ces mots qu’il avait jadis jetés sur le papier, qui coulaient sans effort de sa part qui s’imbriquaient dans ses textes parfois malgré lui, où étaient-ils maintenant ?
Et maintenant ce vide en lui, qui s’est insinué ; il n’y avait pourtant pas de faille visible et malgré tout son être en était rempli. Les mots sont là mais plus la magie qui les alignait silencieusement, mécanique implacable comme lui respirait… Oui c’était exactement ça, avant il écrivait comme il respirait mais il s’était arrêté. Et si cela signifiait qu’une partie de lui était comme brisée, morte ?
Pourtant sa Muse il l’a tellement écrite qu’elle en sort grandie. Elle est devenue palpable pour ses lecteurs et pour lui, elle s’est transformée en déesse, fée immatérielle et intemporelle ; à jamais en lui… Tous ces textes en sont remplis et lui est si vide de toute autre chose… Comment écrire si ce n’est Elle ? Comment jamais trouver un autre sujet, puisque ce ne sera jamais plus Elle ? Il ne saurait pas le faire, il était terrifié !
Pourtant il connaissait la peur, mi alliée, mi-ennemie, elle entrait en lui après chaque texte écrit s’abattant sur lui et le tracassant avant que quelqu’un lise enfin ses vers et donne son avis… Mais elle était généralement suivie d’un soulagement, une personne avait lu, partagé et ressenti les mots et les émotions s’en dégageant et avait aimé son texte et l’avait dit, enfin…
Mais tout était terminé maintenant, il en avait fini avec sa Muse, il l’avait suffisamment décrite et ne pouvait en dire plus. Il avait puisé toute l’eau à sa source. Il avait réussi son pari, gagner sa guerre et il ne savait pas s’il pourrait mieux faire. Alors maintenant il cherchait quoi écrire, comment et surtout pourquoi…
Ce qu’il ressentait maintenant n’avait plus rien à voir avec la peur d’un écrivain après un de ses premiers textes… C’était un sentiment bien plus puissant, une sorte de terreur latente qui tout à coup ressortait plus forte que jamais, alors que son clavier l’attendait patiemment et inexorablement… Comme un poids au fond de lui, une douleur lancinante qui le tiraillait et l’asphyxiait… La peur de ne plus être aussi doué qu’il l’avait été par le passé dans ses autres textes, alors qu’il parlait d’Elle.
Plusieurs fois il s’était assis devant son écran mais il restait immobile… Etait-il paralysé ou était-ce le monde qui s’était arrêté autour de lui le jour où il avait écrit le dernier texte parlant d’Elle ? Il ne vivait plus, il survivait comme s’il n’avait plus aucun autre but sans l’écriture... Il errait dans un monde nouveau pour lui…
Le curseur continuait de clignoter inlassablement et lui devant son écran se demandait encore s’il pourrait jamais réécrire… Ses forces l’abandonnaient, il ne pourrait rester indéfiniment dans cette impasse à ne savoir ni pouvoir que faire, ni avancer ni même faire demi-tour…
Perdu dans ses états d’âme, l’auteur vide referme son écran vide mais il sait que sa vie est autrement pleine de ce qu’il a déjà écrit et d’Elle…