Un beau cadeau...
Le 24 décembre. Ce soir, dans toutes les maisons, on fêterait le réveillon de Noël. Les décorations avaient embelli la petite ville bretonne de Brest. Les enfants s’amusaient dehors, on voyait fleurir les bonhommes de neige, on devait se baisser pour passer à travers une bataille de poudreuse. Les rues étaient éclairées plus que jamais par les immenses guirlandes clignotantes. Les maisons apportaient chacune leur petite touche personnelle à l’éclairage de l’extérieur, et leur intérieur se berçait par un doux feu de cheminée et l’emballage des derniers cadeaux. On était bien matinaux, à Brest, observa Maiwenn. Les gens avaient terminé leurs achats, aussi bien pour le repas que pour les surprises, et déjà les habitats se mettaient à l’action. Quelques bambins devaient encore dormir, songea-t-elle.
La jeune femme avait voulu admirer le lever de soleil, sur la plage, près du port. La neige avait recouvert le sable, mais la mer s’était battue pour luire de son bleu habituel, et les quelques vagues qui montaient avec la marée offraient un léger chant mélodieux accordé à la brise. Emmitouflée dans sa veste, Maiwenn avançait, les mains dans les poches, le visage caché par son écharpe. Ses pas s’imprimaient au sol, sa longue chevelure foncée flottait au vent. Elle gardait le regard rivé à l’horizon, où le soleil commençait à se tirer paresseusement de son sommeil dans des tintes roses et bleues. Il ne brillerait pas très fort aujourd’hui, puisque de la neige avait encore été annoncée. En levant la tête, la donzelle aperçut les premiers nuages du jour, qui confirmeraient bientôt ce présage en laissant tomber des flocons glacés, comme toujours en hiver.
Le temps semblait s’être arrêté sur la plage, où la silhouette solitaire s’était elle aussi immobilisée. Le ciel se décolorait peu à peu, on commençait à y voir plus clair. Le vent venait souffler par moment, simplement pour caresser la demoiselle, et la mer avait cessé de s’agiter. Ce spectacle avait fait oublier à Maiwenn que ce soir, elle serait seule.
Des cris lointains, des rires joyeux. Une balle vint taper dans la cheville de la femme, qui baissa enfin les yeux, pour voir un petit garçon à l’air timide se pencher pour ramasser le jouet. Il eut un sourire d’excuse, auquel il obtint une réponse. L’enfant resta là quelques instants à regarder l’inconnue, avant d’empoigner la balle à deux mains et de repartir en courant vers ses frères et sœurs. Tous chaudement couverts de grosses fourrures et de bonnets, à s’amuser ainsi dans le paysage hivernal, on aurait pu les peindre, les représenter sur une carte postale. Maiwenn détacha son attention des gamins et reprit sa marche singulière. Le soleil avait pris sa place, et semblait ne plus vouloir bouger de la journée. Et maintenant, les premiers flocons descendaient doucement du ciel, pour recouvrir Brest une nouvelle fois. La neige fraîche, non piétinée, était toujours plus belle. Ils obligèrent la demoiselle à se renfoncer dans son écharpe ; la sensation de froid dans le cou n’était pas des plus agréables pour elle. Elle allait rentrer.
Elle fit donc demi-tour, trouva son chemin pour quitter la plage. Ici et là, des amoureux admiraient les vitrines en se tenant la main, des chiens erraient d’un air triste, d’autres enfants jouaient. Le bonheur de l’enfance, de l’innocence. Un vieil homme s’approcha de Maiwenn, arrêtée devant une boulangerie dont la vitre protégeait de nombreux chocolats. Il se stoppa à côté d’elle, croisa ses bras derrière son dos, et observa les bonbons, comme elle. Son reflet laissait voir à la bretonne un petit sourire sous les nombreuses rides du visage paisible de l’homme. Ses cheveux d’un blanc nacré lui faisaient penser à son grand-père, sauf que cet aïeul n’avait pas de barbe, alors que cet étranger, si.
- Appétissant, n’est-ce pas ?
L’armoricaine mit un peu de temps à s’apercevoir que le vieillard venait de s’adresser à elle.
- Très. Avec un bon chocolat chaud, à déguster près du feu, après un bon festin de Noël.
Sa voix n’était pas douce, pas brute non plus. Elle avait un teint particulier ; un de ceux dont on reconnaît de leur locuteur qu’ils ont déjà bien vécu, malgré leur jeunesse, et que la volonté qui les habite est inébranlable ; une voix qui invite à écouter sans interrompre. Une belle voix, qui correspondait à son délicieux visage. L’homme sourit de plus belle, et Maiwenn se tourna vers lui.
- Vous serez seule ce soir. Je me trompe ?
Son ton n’était pas moqueur, mais plutôt amical, voire paternel. Comment pouvait-il le savoir, que la femme avec laquelle il avait échangé si peu de paroles serait seule ce soir ? Elle en oublia de répondre, mais l’homme n’en fut pas dérangé. Il tendit la main vers la droite, en s’inclinant sommairement, et se recula de quelques pas. Il indiquait un homme assis sur un banc, seul, qui avait les yeux rivés sur la mer proche. L’interlocutrice du patriarche se sentit irrésistiblement attirée par cet individu, et ses pas la menèrent inconsciemment vers lui. Elle aurait voulu s’arrêter, elle ne le connaissait pas. Mais elle continuait d’avancer, comme si une corde la tirait vers l’avant contre son gré. Quand elle arriva près du banc, elle baissa la tête, et s’assit à son tour. Elle imita l’homme, comme le vieux l’avait imitée elle, et regarda au loin. Le silence était brisé par seulement quelques claquements de cerfs-volants sur la plage. Puis l’homme pivota vers elle. Il était brun, avec un regard vert doré envoûtant, un visage qui inspirait confiance et respect à la fois. Une écharpe écossaise lui entourait le cou, sous un épais manteau noir, et des gants continuaient l’effet en recouvrant ses mains. Maiwenn ne put s’empêcher de baisser les yeux, et un frisson la parcourut, lui faisant regretter le choix de cette jolie veste trop légère. Sans un mot, le jeune homme ôta son manteau, et le posa sur les épaules de la demoiselle, gardant son bras autour de ses épaules. Etait-ce une impression ou Maiwenn se sentait-elle agréablement bien à son contact ? Un papier vola dans sa main : Joyeux Noël. Elle jeta un regard près de la boulangerie ; plus aucune trace du vieil homme. Il avait disparu.